Edition critique du Voyage à Rodrigue (1761-1762) d'Alexandre-Guy Pingré

 

Introduction (3)

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© - Sophie Hoarau et Marie-Paule Janiçon - Édition critique du Voyage à Rodrigue (1761-1762) d'Alexandre-Louis Pingré - Mémoire de Maîtrise 1992 sous la direction du Professeur J.M. Racault.

 

III. LE CONTEXTE HISTORIQUE: UNE FIN DE SIECLE AGITEE PAR LA GUERRE D'HEGEMONIE ENTRE LA FRANCE ET L'ANGLETERRE.

 

Le traité signé à Aix-la-Chapelle en 1748, mit fin à la guerre de la Succession d'Autriche (1740-1748), sans pour autant résoudre les problèmes politiques. Le conflit autrichien à peine résolu, on assista à la division des puissances européennes en deux camps : d'un côté, la France s'allia à la Prusse, de l'autre, l'Angleterre se rapprocha de l'Autriche. Ces accords restaient pourtant fragiles ; ils ne reposaient sur aucune réelle entente, chaque puissance étant bien décidée à ne défendre que ses propres intérêts économiques et coloniaux.

La convention de septembre 1755 signée entre l'Angleterre et la Russie, nouvelle puissance militaire, inquiéta Frédéric II qui décida alors de conclure une alliance anglo-prussienne, confirmée par le traité de Westminster le 16 janvier 1756.

La France, isolée, se tourna alors vers l'Autriche, son ennemie de toujours. Après la première conclusion d'un acte de neutralité le 1er mai 1756, le second traité de Versailles, un an plus tard, scellait l'alliance offensive franco-­autrichienne. Par ce traité, qui prévoyait le partage de la Prusse entre les autres Etats allemands, la France et l'Autriche montaient une véritable coalition contre Frédéric II et laissaient entrevoir une sorte de domination franco-autrichienne sur le Continent.

La mésentente qui régnait alors en Angleterre entre le ministre William Pitt et son souverain George II fit miroiter une victoire possible de cette coalition. Cependant, après des débuts prometteurs en 1757, l'armée française éprouva de sévères défaites face au redressement prussien. Frédéric II, profitant de l'absence de Marie-Thérèse, occupée à reprendre la Silésie qu'elle avait dû abandonner lors du traité de Dresde en 1745, attaqua les Français près de Rossbach, en novembre 1757. Cette défaite fut humiliante pour la France et marqua un tournant décisif dans le conflit qui, par la suite, devint essentiellement franco-anglais et se prolongea jusqu'en 1763.

La guerre de Sept Ans (1756-1763).

La seconde moitié du XVIIIème siècle se caractérise par les sept années de guerre qui ont troublé la sérénité des Etats, tant sur terre que sur mer. La France et l'Angleterre, les deux grandes puissances, se sont trouvées naturellement confrontées et ont eu, l'une et l'autre, à défendre leurs idéaux et leurs territoires.

La malheureuse aventure de Joseph François Dupleix à Pondichéry ouvrit la voie aux hostilités franco-anglaises. En effet, nommé gouverneur de la Compagnie des Indes en 1741, il brisa les premières activités des Anglais dans les Indes jusqu'à les contraindre à quitter Pondichéry en 1748. Ayant saisi la nécessité pour la France de posséder des territoires dans l'océan Indien, il engagea une tentative de protectorat sur le sud du pays, amorçant ainsi, dans cette partie du monde, une politique d'expansion territoriale.

Le gouvernement français désapprouva sa conduite ; la Compagnie des Indes « ne comprit pas que [sa] politique eût coûté cher au début, mais eût ensuite rapporté"[1]. Abandonné de tous, Dupleix fut contraint, en 1754, de quitter Pondichéry.

Menés par Robert Clive, agent de la East India Compagny, les Anglais, désormais, pouvaient étendre leur politique impérialiste jusque dans l’océan Indien, profitant de l'absence de coordination entre la France et l'Autriche, plus occupée, rappelons-le, à reprendre la Silésie qu' à entretenir son alliance avec Louis XV.

Sur le Continent, l'humiliante défaite de Rossbach avait brisé le désir des Français de s'aventurer de nouveau au cœur de l'Allemagne.

Chassées de Hanovre en 1758, battues à Krefeld la même année et à Minden en 1759, les troupes du roi, malgré leur supériorité numérique accumulaient les échecs en Allemagne.

Sur mer, la lutte fut aussi désastreuse : les ports de Lorient et de Rochefort subirent plusieurs offensives anglaises. Le débarquement en Angleterre projeté par Choiseul fut un échec : les deux flottes françaises, chargées de cette expédition furent vaincues, l'une à Lagos, sur les côtes du Portugal, l'autre au large de Belle-Ile, en 1759. Sa flotte anéantie, la France fut désormais hors d'état de défendre ses colonies.

Dès 1758, les colons français de l'Amérique du Nord, privés de secours, succombèrent aux Anglais ; les Canadiens, commandés par Montcalm, furent contraints d'évacuer la vallée du Saint-Laurent et, après la prise du Quebec par les troupes de Wolfe, Montréal passa sous domination anglaise en septembre 1760 et consacra à la fois la fin de la puissance française et la supériorité britannique.

La supériorité navale de l'Angleterre était alors incontestable jusque dans l'outre-mer. La capitulation du Français Lally-Tollendal à Pondichéry en 1761 laissa l'Angleterre maîtresse de la situation économique dans les Indes et lui permit d'accroître considérablement ses conquêtes coloniales.

La fin de la guerre fut marquée par une tentative de redressement de la part des Français : en 1758, ils se rapprochèrent de l'Espagne de Charles III. Ce pacte de famille signé entre les deux monarchies bourboniennes à l'initiative de Choiseul inquiéta l'Angleterre, qui se retourna alors contre l’Espagne ; l'infériorité technique et manœuvrière de la flotte espagnole permit aux Anglais de s'emparer de la Floride et de Cuba.

L'Europe, épuisée par cette guerre continentale et maritime, souhaitait rétablir la paix. Des négociations furent entreprises dès 1761, mais la complexité des relations internationales prolongea le conflit jusqu'en 1763. Enfin, la paix fut

signée au traité de Paris, le 10 février 1763. Quelques jours plus tard, le traité d'Huberstbourg, signé le 15 février 1763, mit fin à la guerre continentale : Marie-­Thérèse abandonna définitivement la Silésie.

La guerre de Sept Ans révéla la prépondérance maritime et coloniale de l'empire britannique, la domination militaire de la Prusse ainsi que la naissance d'une nouvelle puissance : la Russie. La France, grande victime de ce conflit, vit la superficie de son empire colonial extrêmement diminuée par le traité de Paris qui ne lui laissa que cinq comptoirs dans l'Inde qu'elle n'avait pas le droit de fortifier : Chandernagor, Karikal, Mahé, Pondichéry et Yanaon. Elle retrouva la Martinique, la Guadeloupe et Belle-Isle en échange de Minorque, occupée par les troupes de Richelieu dès 1756, des îles de la Dominique, de Saint-Vincent, de Tobago, de Grenade et de Grenadines, le Canada, l'île du Cap Breton et la partie de la Louisiane située à l'est du Mississipi.

Lorsque le Comte d'Argenson quitta l'Orient en 1761, la guerre de Sept Ans durait depuis quatre années déjà et la situation de la France était loin d'être avantageuse. Pingré, conscient des risques qu'il courait en s'aventurant aussi loin et pour un aussi long voyage, confia au lecteur ses inquiétudes :

 

"Ma liberté, ma santé, ma vie même, n'étaient point en sûreté, surtout dans les circonstances d'une guerre générale dont l'Europe et les Indes étaient également le théâtre".

 

La présence obsessionnelle des Anglais sur les mers contraria plus d'une fois sa mission.

Dès le départ, le capitaine Marion Dufresne dut user d'une stratégie de repli afin d'échapper à des vaisseaux anglais qui, écrit Pingré, "paraissaient courir de manière à nous couper le chemin". "Toute [la manœuvre du capitaine] avait convaincu l'ennemi que notre unique dessein était de gagner la terre", et "la providence a décidé que nous échapperons à nos ennemis et que nous partirons sans coup férir".

La menace anglaise troubla de nouveau la sérénité du voyage le 6 avril 1761, obligeant Marion Dufresne à "[arriver] au nord nord-est et ensuite au nord" avant "d'[ordonner] le grand branle-bas" et "d'[assigner] à chacun son poste".

Grâce au courage et à la dextérité de son capitaine, le Comte d'Argenson put, chaque fois, esquiver ses poursuivants, mais sur terre et lors du retour, la chance ne sourit pas toujours à l'astronome. Dès la rencontre avec le Lys, vaisseau de la Compagnie, les ennuis commencèrent. A son grand désarroi, son séjour en mer se trouva prolongé. Le 28 mai 1761, il fut tout de même débarqué à Rodrigue par la Mignonne sous le commandement de Gilbert des Moulières, soit exactement vingt jours après un passage éclair forcé à l'île de France.

 

"Les premiers jours furent employés à débarquer mes instruments, à faire tous les préparatifs nécessaires au succès de l'observation, à choisir, à préparer le lieu où il était le plus convenable de la faire".

 

Leurs observations furent interrompues le 29 juin par une attaque anglaise menée par Robert Fletcher à bord du Plassey.

Après avoir brûlé l'Oiseau, navire échoué sur l'île, et confisqué la Mignonne, les Anglais appareillèrent le 5 juillet à onze heures et laissèrent à Rodrigue une petite communauté de soixante-dix personnes, comprenant d'une part, M. de Puvigné, gouverneur de l'île, sa femme et son fils, M. de la Rue, chirurgien de l'île, M. et Mme Julienne, MM. Gaumont, Richard et Millet, lieutenants de l'Oiseau, M. des Moulières, MM. Guichard et Glaut, lieutenants de la Mignonne, M. du Bousquet, pilote de la Mignonne, M. Thuillier et Pingré, et, d'autre part, les prisonniers qui avaient déserté les navires anglais. La société s'organisa, les maigres provisions sauvées du pillage furent partagées jusqu'à l'arrivée, le 18 juillet, de deux vaisseaux anglais : la Drake et la Baleine. Les provisions se trouvèrent augmentées par un échange proposé par le capitaine anglais Philippe Affleck, qui resta une dizaine de jours dans l'île.

 

"Il nous demanda 3 ou 4 boeufs qu'il promit de payer ou en argent comptant, ou par l'échange d'autres provisions. M. de Puvigné, [commandant de l'île], préféra ce dernier parti, il tournait à l'utilité publique".

 

"Les Anglais appareillèrent enfin le 26, vers 9 heures, emmenant avec eux quelques-uns de nos lascars qui s'étaient donnés à eux et nous laissant sur l'île au nombre d'environ soixante".

 

Sur le chemin du retour, l'équipage français, à bord du Boutin commandé par M. Meyrac, fut une nouvelle fois victime de la puissance navale des Anglais en la personne du capitaine de la Blonde, Archibald Kennedy.

 

"Du premier coup de canon, l'ennemi a renversé notre petit mât de perroquet. Il nous a lâché ses deux bordées, sans blesser personne et probablement sans avoir dessein de le faire".

 

La bataille fut expéditive, tant par l'habileté des Anglais, (la perte de leur grand hunier ne les empêcha pas de poursuivre et de remporter le combat) que par la supériorité de l'armement de leur navire.

 

"La Blonde, frégate autrefois française, était armée de trente-quatre canons de douze livres de balles dont même, si je ne me trompe, quelques-uns étaient de dix-huit. Et nous n'avions que vingt-deux canons de six seulement".

 

Pingré et ses compagnons d'infortune se retrouvèrent prisonniers des Anglais et, après avoir manifesté le désir de terminer le voyage par voie de terre, ils furent débarqués à Lisbonne le 23 février 1762. Cette aventure fut préjudiciable à notre astronome qui y laissa bon nombre de ses instruments et collections faites dans les îles. Le laissez-passer que lui avait fourni l'Amirauté anglaise ne lui avait pas été d'un très grand secours :

 

"Tout s'est ainsi trouvé exposé au pillage ; ce que j'ai le plus regretté a été mon thermomètre et quelques morceaux d'histoire naturelle que nous conservions dans de l'esprit de vin".

'

« J'ai cru que mon passeport me donnait le droit de réclamer tout ce qui m'appartenait légitimement. Il me fut répondu par M. Smith que M. Kennedy aimait cela : la réponse n'était-elle pas souverainement péremptoire? A défaut d'autres, il fallut s'en contenter. Je n'oserai cependant assurer que M. Kennedy s'applique à se former un cabinet qui puisse attirer quelque jour l'attention des curieux. J'ai reconnu dans Lisbonne quelques morceaux de mon histoire naturelle, dont M. Kennedy avait fait hommage à des dames françaises : les dames portugaises, anglaises, italiennes, etc., auront eu part, sans doute à ses libéralités".

 

La relation de Pingré témoigne donc de la supériorité navale et militaire de l’Angleterre pendant la guerre de Sept Ans. La signature du traité de Paris intervint au moment où l'hégémonie de ce pays était incontestable, eu égard à ses nombreuses conquêtes maritimes et terrestres.

Personnellement affecté par cette guerre, le chanoine a ainsi relaté ses nombreuses infortunes ; ses notes et observations annoncent, par ailleurs, les difficultés à venir de la Compagnie des Indes.

Certains passages de son journal, en effet laissaient présager l'issue fatale de cette société de commerce :

 

" ( ... ) cinq vaisseaux avaient la même destination : le Boulogne qui était parti avant notre arrivée, l'Adour , le Villevault, le Boutin et le Saint­-Priest. Des cinq, l'Adour, seul est arrivé à bon port, les quatre autres ont eu le malheur de tomber entre les mains des Anglais »

 

La Compagnie des Indes orientales en péril.

 

Fondée par Louis XIV et Colbert en 1664, la Compagnie des Indes orientales était la réplique de la Compagnie des Indes anglaises qui datait de 1600, et de la Compagnie des Indes hollandaise créée en 1602.

C'est donc bien tardivement que les Français suivirent le modèle anglais et hollandais et décidèrent de mettre sur pied une association destinée à protéger le commerce des dangers de la mer, de la concurrence et de la faillite.

La Compagnie des Indes de Colbert avait pour unique objectif de concurrencer les Hollandais et de prendre leur monopole commercial en Asie. "Nous ne devons point avoir d'autre vue en [Inde] que celle du commerce", écrit Colbert.

A l'origine, la Compagnie des Indes orientales ne manifestait aucune intention impérialiste. A la fin du XVIIème siècle, elle avait réussi à installer quelques comptoirs, sur la côte indienne, mais, à la mort de Colbert, en 1683, engagée dans de nombreux conflits, elle ne possédait plus que trois navires et ne put faire face aux exigences du commerce. Affaiblie, elle fut incapable d'exploiter son privilège d'importation de café : en 1712, elle le concéda à des armateurs de Saint-Malo qui relancèrent le commerce avec Moka.

En 1719, le financier John Law tenta de stimuler l'économie grâce à l'augmentation de la masse monétaire et à l'émission d'un papier-monnaie, puis il tenta de fusionner toutes les compagnies de commerce d'outre-mer sous le titre de Compagnie perpétuelle des Indes. Toutes ses tentatives échouèrent, puisqu'elles furent suivies, on le sait, d'une catastrophe financière.

En 1723, la Compagnie fut réorganisée par Louis XV, qui lui accorda enfin le monopole de l'importation du café en France : les plantations de Bourbon devenaient soudain dignes d'intérêt. La nécessité de posséder et d'entretenir des colonies apparaissait alors fondamentale pour la prospérité des Compagnies.

La Compagnie des Indes orientales connut une période florissante de 1725 à 1740. Puis, malgré la guerre de la Succession d'Autriche, elle résista bien jusqu'en 1759. Pendant cette période, annuellement, une vingtaine de navires quittaient l'Orient pour les Indes, mais la guerre de Sept Ans remit en cause ses progrès et limita ses activités commerciales. Elle perdit ainsi le bénéfice du trafic des castors au Canada et celui de la traite des Noirs en Afrique occidentale, avant de perdre le commerce des Mascareignes.

Cette guerre avait effectivement coûté très cher à la France : après le traité de Paris qui réduisait ses possessions dans l'Inde, l'Etat s'est retrouvé principal financier de la Compagnie, rôle qu'elle a commencé à jouer en 1723, après l'échec de Law.

Sans aller jusqu'à prévoir l'effondrement de la Compagnie des Indes, les écrits de Pingré laissaient sous-entendre ses difficultés futures. Le 14 juillet 1761, la petite communauté prisonnière de Rodrigue depuis le départ des Anglais vit apparaître deux vaisseaux :

 

"Ils mouillèrent en rade de Rodrigue. Le premier était la Baleine, frégate peu auparavant française, prise ou plutôt surprise par les Anglais en rade de Pondichéry lorsqu'il n'y avait pas un seul homme de son équipage à son bord".

Cette attaque surprise révéla le manque de rigueur de l'équipage français et laissa paraître les faiblesses de la Compagnie.

Lorsque l'expédition du transit de Vénus fut conçue en 1761, la situation financière de la Compagnie des Indes était telle que l'idée d'abandonner les îles de France et Bourbon, déjà fort dispendieuses, germait dans les esprits. Pingré l'évoqua en y joignant un sévère jugement

 

"J'ai entendu dire à l'île de France que la Compagnie était une bonne mère qui nourrit bien ses enfants ; ne pourrais-je pas ajouter que la Compagnie a de bien mauvais enfants qui volent leur mère et la laissent périr de faim? ».

 

En Angleterre, l'East India Company affichait des signes de bonne santé dans la première moitié du XVIIIème siècle, mais les événements de la guerre de Sept Ans ralentirent ses activités et sa puissance. Tout comme la Compagnie française, elle fut victime de ses propres agents qui détournaient une partie du trafic en Asie à leur profit.

La Compagnie hollandaise connut les mêmes difficultés : "[elle] était depuis plus d'un siècle une très bonne affaire, mais précisément elle s'était habituée à la prospérité, à la fraude, à une certaine paresse"[2].

A la fin des sept années de guerre, les trois plus grandes Compagnies étaient à bout de souffle ; les différents Etats devaient intervenir afin de les liquider ou de les assister. Cette situation profita aux petites Compagnies danoise et suédoise qui virent leur trafic maritime et commercial augmenter.

Les Compagnies des Indes furent rongées par les parasites qu'elles nourrissaient. Pourtant, afin de contrôler l'état du commerce et de veiller à ce que ses instructions soient bien suivies, elles avaient créé sur chaque navire un poste de commissaire de bord. Celui-ci était chargé de tenir la comptabilité du vaisseau, de faire l'inventaire des marchandises, de "noter au jour le jour la route suivie, le chemin parcouru, les mesures de latitude et de longitude, ainsi que tous les incidents qui pouvaient se produire aussi bien pendant le voyage que pendant les escales"[3] ; d'où la présence, sur le Boutin, de "M. Crémont, écrivain des vaisseaux du roi ».

Le journal de bord devenait ainsi "une source permettant de perfectionner la connaissance des routes"[4].

Cahiers de comptes ou archives de la navigation, le "journal de bord d'un navire est au XVIIIème siècle un document de première importance ( ... ).

"Ces journaux de bord, conservés depuis 1720 au service hydrographique de la marine, serviront de matière première à d'Après de Mannevillette pour la rédaction de son Neptune Oriental - c'est en compilant, en comparant et en critiquant dates, itinéraires et incidents relatés dans des dizaines de journaux de bord que ce navigateur, transformé pour la circonstance en archiviste, compose le routier le plus sûr pour l'océan Indien"[5].

En vue de compléter ses propres observations et expériences, et afin d'enrichir sa relation de voyage de précisions géographiques, nautiques et climatiques, Pingré a sans doute eu l'occasion de consulter les journaux de bord des différents vaisseaux qu'il a empruntés pour l'accomplissement de sa mission, à savoir le Comte d'Argenson, la Mignonne, le Volant et le Boutin. Ainsi, Voyage à l'île Rodrigue présente à la fois les caractéristiques d'un journal de bord et d'un récit de voyage où l'auteur a agréablement associé données scientifiques et données historiques afin de proposer au lecteur un compte rendu d'une expédition mouvementée.

[1] M. Devèze, L'Europe et le Monde à la fin du XVIIIe siècle, A. Michel, Paris, 1970, p. 148.

[2] M. Devèze, L'Europe et le Monde à la fin du XVIIIe siècle, A. Michel, Paris, 1970, p. 140.

[3] Archives départementales de la Réunion, Voyage, commerce, comptoirs et colonies : Bourbon sur la route des Indes au XVIIIe siècle, Imprimerie départementale, "Les techniques : bâtîments et navigation", p. 23.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

 

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