III.
LE CONTEXTE HISTORIQUE: UNE FIN DE SIECLE AGITEE PAR LA GUERRE
D'HEGEMONIE ENTRE LA FRANCE ET L'ANGLETERRE.
Le
traité signé à Aix-la-Chapelle en 1748, mit fin à la guerre de
la Succession d'Autriche (1740-1748), sans pour autant résoudre
les problèmes politiques. Le conflit autrichien à peine résolu,
on assista à la division des puissances européennes en deux camps
: d'un côté, la France s'allia à la Prusse, de l'autre, l'Angleterre
se rapprocha de l'Autriche. Ces accords restaient pourtant fragiles
; ils ne reposaient sur aucune réelle entente, chaque puissance
étant bien décidée à ne défendre que ses propres intérêts économiques
et coloniaux.
La
convention de septembre 1755 signée entre l'Angleterre et la Russie,
nouvelle puissance militaire, inquiéta Frédéric II qui décida
alors de conclure une alliance anglo-prussienne, confirmée par
le traité de Westminster le 16 janvier 1756.
La
France, isolée, se tourna alors vers l'Autriche, son ennemie de
toujours. Après la première conclusion d'un acte de neutralité
le 1er mai 1756, le second traité de Versailles, un an plus tard,
scellait l'alliance offensive franco-autrichienne. Par ce traité,
qui prévoyait le partage de la Prusse entre les autres Etats allemands,
la France et l'Autriche montaient une véritable coalition contre
Frédéric II et laissaient entrevoir une sorte de domination franco-autrichienne
sur le Continent.
La
mésentente qui régnait alors en Angleterre entre le ministre William
Pitt et son souverain George II fit miroiter une victoire possible
de cette coalition. Cependant, après des débuts prometteurs en
1757, l'armée française éprouva de sévères défaites face au redressement
prussien. Frédéric II, profitant de l'absence de Marie-Thérèse,
occupée à reprendre la Silésie qu'elle avait dû abandonner lors
du traité de Dresde en 1745, attaqua les Français près de Rossbach,
en novembre 1757. Cette défaite fut humiliante pour la France
et marqua un tournant décisif dans le conflit qui, par la suite,
devint essentiellement franco-anglais et se prolongea jusqu'en
1763.
La guerre de
Sept Ans (1756-1763).
La
seconde moitié du XVIIIème siècle se caractérise par les sept
années de guerre qui ont troublé la sérénité des Etats, tant sur
terre que sur mer. La France et l'Angleterre, les deux grandes
puissances, se sont trouvées naturellement confrontées et ont
eu, l'une et l'autre, à défendre leurs idéaux et leurs territoires.
La
malheureuse aventure de Joseph François Dupleix à Pondichéry ouvrit
la voie aux hostilités franco-anglaises. En effet, nommé gouverneur
de la Compagnie des Indes en 1741, il brisa les premières activités
des Anglais dans les Indes jusqu'à les contraindre à quitter Pondichéry
en 1748. Ayant saisi la nécessité pour la France de posséder des
territoires dans l'océan Indien, il engagea une tentative de protectorat
sur le sud du pays, amorçant ainsi, dans cette partie du monde,
une politique d'expansion territoriale.
Le
gouvernement français désapprouva sa conduite ; la Compagnie des
Indes « ne comprit pas que [sa] politique eût coûté cher
au début, mais eût ensuite rapporté".
Abandonné de tous, Dupleix fut contraint, en 1754, de quitter
Pondichéry.
Menés
par Robert Clive, agent de la East India Compagny, les Anglais,
désormais, pouvaient étendre leur politique impérialiste jusque
dans l’océan Indien, profitant de l'absence de coordination entre
la France et l'Autriche, plus occupée, rappelons-le, à reprendre
la Silésie qu' à entretenir son alliance avec Louis XV.
Sur
le Continent, l'humiliante défaite de Rossbach avait brisé le
désir des Français de s'aventurer de nouveau au cœur de l'Allemagne.
Chassées
de Hanovre en 1758, battues à Krefeld la même année et à Minden
en 1759, les troupes du roi, malgré leur supériorité numérique
accumulaient les échecs en Allemagne.
Sur
mer, la lutte fut aussi désastreuse : les ports de Lorient et
de Rochefort subirent plusieurs offensives anglaises. Le débarquement
en Angleterre projeté par Choiseul fut un échec : les deux flottes
françaises, chargées de cette expédition furent vaincues, l'une
à Lagos, sur les côtes du Portugal, l'autre au large de Belle-Ile,
en 1759. Sa flotte anéantie, la France fut désormais hors d'état
de défendre ses colonies.
Dès
1758, les colons français de l'Amérique du Nord, privés de secours,
succombèrent aux Anglais ; les Canadiens, commandés par Montcalm,
furent contraints d'évacuer la vallée du Saint-Laurent et, après
la prise du Quebec par les troupes de Wolfe, Montréal passa sous
domination anglaise en septembre 1760 et consacra à la fois la
fin de la puissance française et la supériorité britannique.
La
supériorité navale de l'Angleterre était alors incontestable jusque
dans l'outre-mer. La capitulation du Français Lally-Tollendal
à Pondichéry en 1761 laissa l'Angleterre maîtresse de la situation
économique dans les Indes et lui permit d'accroître considérablement
ses conquêtes coloniales.
La
fin de la guerre fut marquée par une tentative de redressement
de la part des Français : en 1758, ils se rapprochèrent de l'Espagne
de Charles III. Ce pacte de famille signé entre les deux monarchies
bourboniennes à l'initiative de Choiseul inquiéta l'Angleterre,
qui se retourna alors contre l’Espagne ; l'infériorité technique
et manœuvrière de la flotte espagnole permit aux Anglais de s'emparer
de la Floride et de Cuba.
L'Europe,
épuisée par cette guerre continentale et maritime, souhaitait
rétablir la paix. Des négociations furent entreprises dès 1761,
mais la complexité des relations internationales prolongea le
conflit jusqu'en 1763. Enfin, la paix fut
signée
au traité de Paris, le 10 février 1763. Quelques jours plus tard,
le traité d'Huberstbourg, signé le 15 février 1763, mit fin à
la guerre continentale : Marie-Thérèse abandonna définitivement
la Silésie.
La
guerre de Sept Ans révéla la prépondérance maritime et coloniale
de l'empire britannique, la domination militaire de la Prusse
ainsi que la naissance d'une nouvelle puissance : la Russie. La
France, grande victime de ce conflit, vit la superficie de son
empire colonial extrêmement diminuée par le traité de Paris qui
ne lui laissa que cinq comptoirs dans l'Inde qu'elle n'avait pas
le droit de fortifier : Chandernagor, Karikal, Mahé, Pondichéry
et Yanaon. Elle retrouva la Martinique, la Guadeloupe et Belle-Isle
en échange de Minorque, occupée par les troupes de Richelieu dès
1756, des îles de la Dominique, de Saint-Vincent, de Tobago, de
Grenade et de Grenadines, le Canada, l'île du Cap Breton et la
partie de la Louisiane située à l'est du Mississipi.
Lorsque
le Comte d'Argenson quitta
l'Orient en 1761, la guerre de Sept Ans durait depuis quatre années
déjà et la situation de la France était loin d'être avantageuse.
Pingré, conscient des risques qu'il courait en s'aventurant aussi
loin et pour un aussi long voyage, confia au lecteur ses inquiétudes
:
"Ma
liberté, ma santé, ma vie même, n'étaient point en sûreté, surtout
dans les circonstances d'une guerre générale dont l'Europe et
les Indes étaient également le théâtre".
La
présence obsessionnelle des Anglais sur les mers contraria plus
d'une fois sa mission.
Dès
le départ, le capitaine Marion Dufresne dut user d'une stratégie
de repli afin d'échapper à des vaisseaux anglais qui, écrit Pingré,
"paraissaient courir de manière à nous couper le chemin".
"Toute [la manœuvre du capitaine] avait convaincu l'ennemi
que notre unique dessein était de gagner la terre", et "la
providence a décidé que nous échapperons à nos ennemis et que
nous partirons sans coup férir".
La
menace anglaise troubla de nouveau la sérénité du voyage le 6
avril 1761, obligeant Marion Dufresne à "[arriver] au nord
nord-est et ensuite au nord" avant "d'[ordonner] le
grand branle-bas" et "d'[assigner] à chacun son poste".
Grâce
au courage et à la dextérité de son capitaine, le Comte
d'Argenson put, chaque fois, esquiver ses poursuivants, mais
sur terre et lors du retour, la chance ne sourit pas toujours
à l'astronome. Dès la rencontre avec le Lys, vaisseau de la Compagnie,
les ennuis commencèrent. A son grand désarroi, son séjour en mer
se trouva prolongé. Le 28 mai 1761, il fut tout de même débarqué
à Rodrigue par la Mignonne sous le commandement de Gilbert des
Moulières, soit exactement vingt jours après un passage éclair
forcé à l'île de France.
"Les
premiers jours furent employés à débarquer mes instruments, à
faire tous les préparatifs nécessaires au succès de l'observation,
à choisir, à préparer le lieu où il était le plus convenable de
la faire".
Leurs
observations furent interrompues le 29 juin par une attaque anglaise
menée par Robert Fletcher à bord du Plassey.
Après
avoir brûlé l'Oiseau,
navire échoué sur l'île, et confisqué la Mignonne,
les Anglais appareillèrent le 5 juillet à onze heures et laissèrent
à Rodrigue une petite communauté de soixante-dix personnes, comprenant
d'une part, M. de Puvigné, gouverneur de l'île, sa femme et son
fils, M. de la Rue, chirurgien de l'île, M. et Mme Julienne, MM.
Gaumont, Richard et Millet, lieutenants de l'Oiseau,
M. des Moulières, MM. Guichard et Glaut, lieutenants de la Mignonne,
M. du Bousquet, pilote de la Mignonne,
M. Thuillier et Pingré, et, d'autre part, les prisonniers qui
avaient déserté les navires anglais. La société s'organisa, les
maigres provisions sauvées du pillage furent partagées jusqu'à
l'arrivée, le 18 juillet, de deux vaisseaux anglais : la Drake
et la Baleine. Les provisions
se trouvèrent augmentées par un échange proposé par le capitaine
anglais Philippe Affleck, qui resta une dizaine de jours dans
l'île.
"Il
nous demanda 3 ou 4 boeufs qu'il promit de payer ou en argent
comptant, ou par l'échange d'autres provisions. M. de Puvigné,
[commandant de l'île], préféra ce dernier parti, il tournait à
l'utilité publique".
"Les
Anglais appareillèrent enfin le 26, vers 9 heures, emmenant avec
eux quelques-uns de nos lascars qui s'étaient donnés à eux et
nous laissant sur l'île au nombre d'environ soixante".
Sur
le chemin du retour, l'équipage français, à bord du Boutin
commandé par M. Meyrac, fut une nouvelle fois victime de la puissance
navale des Anglais en la personne du capitaine de la Blonde,
Archibald Kennedy.
"Du
premier coup de canon, l'ennemi a renversé notre petit mât de
perroquet. Il nous a lâché ses deux bordées, sans blesser personne
et probablement sans avoir dessein de le faire".
La
bataille fut expéditive, tant par l'habileté des Anglais, (la
perte de leur grand hunier ne les empêcha pas de poursuivre et
de remporter le combat) que par la supériorité de l'armement de
leur navire.
"La
Blonde, frégate autrefois
française, était armée de trente-quatre canons de douze livres
de balles dont même, si je ne me trompe, quelques-uns étaient
de dix-huit. Et nous n'avions que vingt-deux canons de six seulement".
Pingré
et ses compagnons d'infortune se retrouvèrent prisonniers des
Anglais et, après avoir manifesté le désir de terminer le voyage
par voie de terre, ils furent débarqués à Lisbonne le 23 février
1762. Cette aventure fut préjudiciable à notre astronome qui y
laissa bon nombre de ses instruments et collections faites dans
les îles. Le laissez-passer que lui avait fourni l'Amirauté anglaise
ne lui avait pas été d'un très grand secours :
"Tout
s'est ainsi trouvé exposé au pillage ; ce que j'ai le plus regretté
a été mon thermomètre et quelques morceaux d'histoire naturelle
que nous conservions dans de l'esprit de vin".
'
« J'ai
cru que mon passeport me donnait le droit de réclamer tout ce
qui m'appartenait légitimement. Il me fut répondu par M. Smith
que M. Kennedy aimait cela : la réponse n'était-elle pas souverainement
péremptoire? A défaut d'autres, il fallut s'en contenter. Je n'oserai
cependant assurer que M. Kennedy s'applique à se former un cabinet
qui puisse attirer quelque jour l'attention des curieux. J'ai
reconnu dans Lisbonne quelques morceaux de mon histoire naturelle,
dont M. Kennedy avait fait hommage à des dames françaises : les
dames portugaises, anglaises, italiennes, etc., auront eu part,
sans doute à ses libéralités".
La
relation de Pingré témoigne donc de la supériorité navale et militaire
de l’Angleterre pendant la guerre de Sept Ans. La signature du
traité de Paris intervint au moment où l'hégémonie de ce pays
était incontestable, eu égard à ses nombreuses conquêtes maritimes
et terrestres.
Personnellement
affecté par cette guerre, le chanoine a ainsi relaté ses nombreuses
infortunes ; ses notes et observations annoncent, par ailleurs,
les difficultés à venir de la Compagnie des Indes.
Certains
passages de son journal, en effet laissaient présager l'issue
fatale de cette société de commerce :
"
( ... ) cinq vaisseaux avaient la même destination : le Boulogne
qui était parti avant notre arrivée, l'Adour
, le Villevault, le
Boutin et le Saint-Priest.
Des cinq, l'Adour, seul
est arrivé à bon port, les quatre autres ont eu le malheur de
tomber entre les mains des Anglais »
La Compagnie
des Indes orientales en péril.
Fondée
par Louis XIV et Colbert en 1664, la Compagnie des Indes orientales
était la réplique de la Compagnie des Indes anglaises qui datait
de 1600, et de la Compagnie des Indes hollandaise créée en 1602.
C'est
donc bien tardivement que les Français suivirent le modèle anglais
et hollandais et décidèrent de mettre sur pied une association
destinée à protéger le commerce des dangers de la mer, de la concurrence
et de la faillite.
La
Compagnie des Indes de Colbert avait pour unique objectif de concurrencer
les Hollandais et de prendre leur monopole commercial en Asie.
"Nous ne devons point avoir d'autre vue en [Inde] que celle
du commerce", écrit Colbert.
A
l'origine, la Compagnie des Indes orientales ne manifestait aucune
intention impérialiste. A la fin du XVIIème siècle, elle avait
réussi à installer quelques comptoirs, sur la côte indienne, mais,
à la mort de Colbert, en 1683, engagée dans de nombreux conflits,
elle ne possédait plus que trois navires et ne put faire face
aux exigences du commerce. Affaiblie, elle fut incapable d'exploiter
son privilège d'importation de café : en 1712, elle le concéda
à des armateurs de Saint-Malo qui relancèrent le commerce avec
Moka.
En
1719, le financier John Law tenta de stimuler l'économie grâce
à l'augmentation de la masse monétaire et à l'émission d'un papier-monnaie,
puis il tenta de fusionner toutes les compagnies de commerce d'outre-mer
sous le titre de Compagnie perpétuelle des Indes. Toutes ses tentatives
échouèrent, puisqu'elles furent suivies, on le sait, d'une catastrophe
financière.
En
1723, la Compagnie fut réorganisée par Louis XV, qui lui accorda
enfin le monopole de l'importation du café en France : les plantations
de Bourbon devenaient soudain dignes d'intérêt. La nécessité de
posséder et d'entretenir des colonies apparaissait alors fondamentale
pour la prospérité des Compagnies.
La
Compagnie des Indes orientales connut une période florissante
de 1725 à 1740. Puis, malgré la guerre de la Succession d'Autriche,
elle résista bien jusqu'en 1759. Pendant cette période, annuellement,
une vingtaine de navires quittaient l'Orient pour les Indes, mais
la guerre de Sept Ans remit en cause ses progrès et limita ses
activités commerciales. Elle perdit ainsi le bénéfice du trafic
des castors au Canada et celui de la traite des Noirs en Afrique
occidentale, avant de perdre le commerce des Mascareignes.
Cette
guerre avait effectivement coûté très cher à la France : après
le traité de Paris qui réduisait ses possessions dans l'Inde,
l'Etat s'est retrouvé principal financier de la Compagnie, rôle
qu'elle a commencé à jouer en 1723, après l'échec de Law.
Sans
aller jusqu'à prévoir l'effondrement de la Compagnie des Indes,
les écrits de Pingré laissaient sous-entendre ses difficultés
futures. Le 14 juillet 1761, la petite communauté prisonnière
de Rodrigue depuis le départ des Anglais vit apparaître deux vaisseaux
:
"Ils
mouillèrent en rade de Rodrigue. Le premier était la Baleine,
frégate peu auparavant française, prise ou plutôt surprise par
les Anglais en rade de Pondichéry lorsqu'il n'y avait pas un seul
homme de son équipage à son bord".
Cette
attaque surprise révéla le manque de rigueur de l'équipage français
et laissa paraître les faiblesses de la Compagnie.
Lorsque
l'expédition du transit de Vénus fut conçue en 1761, la situation
financière de la Compagnie des Indes était telle que l'idée d'abandonner
les îles de France et Bourbon, déjà fort dispendieuses, germait
dans les esprits. Pingré l'évoqua en y joignant un sévère jugement
"J'ai
entendu dire à l'île de France que la Compagnie était une bonne
mère qui nourrit bien ses enfants ; ne pourrais-je pas ajouter
que la Compagnie a de bien mauvais enfants qui volent leur mère
et la laissent périr de faim? ».
En
Angleterre, l'East India Company affichait des signes de bonne
santé dans la première moitié du XVIIIème siècle, mais les événements
de la guerre de Sept Ans ralentirent ses activités et sa puissance.
Tout comme la Compagnie française, elle fut victime de ses propres
agents qui détournaient une partie du trafic en Asie à leur profit.
La
Compagnie hollandaise connut les mêmes difficultés : "[elle]
était depuis plus d'un siècle une très bonne affaire, mais précisément
elle s'était habituée à la prospérité, à la fraude, à une certaine
paresse".
A
la fin des sept années de guerre, les trois plus grandes Compagnies
étaient à bout de souffle ; les différents Etats devaient intervenir
afin de les liquider ou de les assister. Cette situation profita
aux petites Compagnies danoise et suédoise qui virent leur trafic
maritime et commercial augmenter.
Les
Compagnies des Indes furent rongées par les parasites qu'elles
nourrissaient. Pourtant, afin de contrôler l'état du commerce
et de veiller à ce que ses instructions soient bien suivies, elles
avaient créé sur chaque navire un poste de commissaire de bord.
Celui-ci était chargé de tenir la comptabilité du vaisseau, de
faire l'inventaire des marchandises, de "noter au jour le
jour la route suivie, le chemin parcouru, les mesures de latitude
et de longitude, ainsi que tous les incidents qui pouvaient se
produire aussi bien pendant le voyage que pendant les escales"
; d'où la présence, sur le Boutin,
de "M. Crémont, écrivain des vaisseaux du roi ».
Le
journal de bord devenait ainsi "une source permettant de
perfectionner la connaissance des routes".
Cahiers
de comptes ou archives de la navigation, le "journal de bord
d'un navire est au XVIIIème siècle un document de première importance
( ... ).
"Ces
journaux de bord, conservés depuis 1720 au service hydrographique
de la marine, serviront de matière première à d'Après de Mannevillette
pour la rédaction de son Neptune
Oriental - c'est en compilant, en comparant et en critiquant
dates, itinéraires et incidents relatés dans des dizaines de journaux
de bord que ce navigateur, transformé pour la circonstance en
archiviste, compose le routier le plus sûr pour l'océan Indien".
En
vue de compléter ses propres observations et expériences, et afin
d'enrichir sa relation de voyage de précisions géographiques, nautiques
et climatiques, Pingré a sans doute eu l'occasion de consulter les
journaux de bord des différents vaisseaux qu'il a empruntés pour
l'accomplissement de sa mission, à savoir le Comte
d'Argenson,
la Mignonne,
le Volant
et le Boutin.
Ainsi, Voyage
à l'île Rodrigue
présente à la fois les caractéristiques d'un journal de bord et
d'un récit de voyage où l'auteur a agréablement associé données
scientifiques et données historiques afin de proposer au lecteur
un compte rendu d'une expédition mouvementée.