© - Sophie Hoarau et Marie-Paule Janiçon - Edition critique du Voyage à Rodrigue (1761-1762) d'Alexandre-Louis Pingré - Mémoire de Maîtrise 1992 sous la direction du Professeur J.M. Racault.

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QUATRIEME PARTIE

 

 

L'Ile Bourbon

 

DESCRIPTION DE L'ILE DE BOURBON.

 

Les Portugais prirent possession de cette île, en 1545, sous le règne de Jean IV et lui donnèrent le nom de Mascarenhas. Alonse Goubert la trouvant déserte en 1638 y arbora les armes de France. En 1653, Monsieur de Flacour aborda au lieu nommé la Possession, posa les armes de France et une inscription sur le monument où il avait trouvé celles de Portugal placées cent huit ans auparavant ; il changea enfin le nom de l'île et lui donna celui de Bourbon, qu'elle porte aujourd'hui.

En 1665, deux vaisseaux français y trouvèrent deux de leurs compatriotes qui s'y étaient établis depuis trois ans. Ils n'étaient point les seuls habitants de l'île : dix autres, dont sept hommes et trois femmes, y étaient passés avec eux, de Madagascar. Mais s'étant révoltés contre les Français, ils s'étaient retirés dans les lieux de l'île les plus inaccessibles ; il fut impossible de les retrouver ; on laissa sur l'île vingt-deux nouveaux habitants. En 1671, on y en trouva cinquante, divisés en quatre habitations, de St-Denis, de Ste-Marie, de Ste Suzanne  et de St Paul. En 1717 La Barbinais [1] témoigne qu'il y avait 900 personnes libres et 1 100 esclaves. On y compte à présent environ 20 000 âmes [2] , dont 4 à 5 000 Blancs, les autres Noirs.

L'île de Bourbon est presque ronde et s'étend entre 20 degrés 51 minutes et demie et 21 degrés 40 ou 45 minutes de latitude australe et entre 72 degrés 44 minutes et 73 degrés 37 minutes de longitude. Elle aurait donc environ 25 lieues parisiennes de longueur du nord au sud et 23 lieues et demie de largeur de l'est à l'ouest, mais cette étendue n'est pas, à beaucoup près, aussi certaine que celle que j'ai donnée ci-dessus aux îles de France et de Rodrigue [3] . Il est au moins certain que cette île est la plus étendue des trois îles françaises qui sont à l'est de celle de Madagascar.

Cette île n'a point de port : on relâche ordinairement dans deux rades. Celle de St-Denis  est à couvert du vent de sud-est par l'île elle-même, mais le vent d'est n'y laisse point les vaisseaux en sûreté ; on ne s'y arrête ordinairement qu'autant qu'il est nécessaire pour remettre les paquets au Gouverneur et pour recevoir ses ordres si le cas y échet. J'ai parlé ci-dessus de la manière dont les vaisseaux peuvent y aborder : la mer est bornée par une digue qu'elle s'est formée à elle-même par une espèce de coteau de galet dont la hauteur surpasse celle à laquelle la mer peut monter dans les plus hautes marées. Ce galet met obstacle à la décharge d'une rivière ou plutôt d'un ruisseau qui arrose la vallée voisine ; l'eau se perd dans le galet même et, filtrant à travers, elle se rend à la mer par des conduits souterrains. Je ne doute point que ce galet n'ait été ainsi accumulé par les ouragans auxquels cette île n'est pas moins exposée que celle de France.

M. Bouvet [4] , gouverneur de Bourbon, homme très en état de décider sur ces sortes de matières, m'a paru persuadé qu'il n'était pas impossible de creuser un bon port à Saint-Denis : je l'ai cru de même. Je craindrais cependant que la même cause qui a fermé l'embouchure de la rivière ne bouchât pareillement l'entrée du port et ne rendît ainsi inutile des dépenses qui d'ailleurs ne pourraient être mieux placées.

La rade de Saint-Paul est meilleure que celle de Saint-Denis. Les vaisseaux y sont à couvert des vents qui agitent ordinairement cette mer. Cependant on n'y est pas trop en sûreté en janvier, février et mars, surtout aux environs des nouvelles et pleine lunes : c'est la saison des ouragans et des coups de vent, saison qui commence même quelquefois en décembre et s'étend jusqu'en avril. Les vaisseaux qui sont obligés de venir à Bourbon en cette saison, s'y arrêtent le moins qu'il leur est possible ; ils évitent surtout de s'y trouver au voisinage des nouvelles et pleines lunes. Ce n'est pas qu'on y ressente des coups de vent, même longue la lune est dans ses quadratures, mais l'expérience leur a sans doute appris qu'ils sont ordinairement plus violents aux environs des syzygies. Le plus grand ouragan, dont on se souvienne à Bourbon, est arrivé la nuit du 26 au 27 mars 1751 [5] , la lune devant être nouvelle le même jour 27 à midi.

La rade de Saint-Paul est exposée au nord-ouest. Plusieurs ruisseaux, en s'élargissant, forment près de cette côte un amas d'eau assez considérable qu'on nomme — peut-être mal à propos — l'Etang puisque c'est une eau naturellement courante. La rade forme une baie presque semi-circulaire : le rivage n'est que de sable et il ne paraît pas que la mer y en ait accumulé une trop grande quantité durant les ouragans. D'un autre côté, le sol de la mer paraît s'éloigner du rivage en pente douce, ce qui n'empêche pas que le flot ne batte fortement contre le rivage et n'y forme une barre qui empêche les canots d'aborder ; ils se tiennent à une ou deux toises en mer, et des matelots, dans l'eau jusqu'aux genoux, embarquent et débarquent soit les marchandises, soit les officiers et les passagers qui ne veulent pas se mouiller les pieds. Les premières de ces considérations m'inclineraient fort à croire que Saint-Paul serait un lieu beaucoup plus commode que Saint-Denis pour la constitution d'un port. Les dernières m'empêchent de le décider absolument. Je me contente de dire que l'établissement d'un bon port à Bourbon ferait de cette île un des meilleurs entrepôts que l'Europe pourrait désirer pour son commerce des Indes.

L'air de Bourbon est très sain : on n'y connaît de maladies que celles auxquelles notre nature est partout assujettie. Encore sont-elles ici plus rares que dans presque toutes les autres contrées. Il n'est point extraordinaire d'y voir des vieillards sains et vigoureux au-delà de quatre-vingt-dix, et même de cent ans. La vie sage et réglée des habitants peut cependant y contribuer beaucoup. Cette salubrité de l'air paraît commune à tous les endroits habités de l'île, mais ces différents quartiers sont d'ailleurs sujets à des variétés assez extraordinaires dans une  aussi petite étendue.

L'intérieur de l'île est couvert de montagnes ou comme l'ont dit quelques auteurs : ce n'est qu'une seule montagne fendue dans toute sa hauteur en trois endroits différents. Ces montagnes sont extrêmement hautes : M. de la Nux [6] , conseiller au Conseil souverain de l'île et correspondant de l'Académie, m'a dit qu'elles excédaient 2 400 et même 3 000 toises [7] de hauteur perpendiculaire au-dessus du niveau de la mer. M. le Gentil en a mesuré la hauteur, c'est d'après cette mesure que M. de la Nux  parlait, et les montagnes mesurées n'étaient point, ajoutait-il, les plus hautes de l'île ; tout ceci nous sera plus connu après le retour de M. le Gentil. Sur ces montagnes, vers le milieu de l'île, il y a une plaine longue de six lieues et large de deux : on la nomme Plaine des Caffres [8] . Il y fait très froid, il y gèle même en hiver  ; cependant, elle serait susceptible de productions ; tous nos fruits, tous nos légumes européens, y prospéreraient peut-être : on commence dit-on à la cultiver. Elle est traversée par un grand chemin dans toute sa longueur, mais ce chemin est rarement beau ; la pluie et la neige le rendent souvent presque impraticable. Le 10 d'Août 1761, il a neigé sur ces montagnes.

Au bas de ces montagnes, dans la partie la plus orientale de l'île, est le quartier et la paroisse de Saint-Benoît. Il est fertile et assez peuplé, la chaleur y est très modérée, les pluies fréquentes et abondantes. Le quartier s'étend vers le sud-ouest à trois ou quatre lieues et c'est là que finit la côte habitée. A cette côte succède ce qu'on appelle le petit pays brûlé ; il y a ensuite huit ou dix lieues de côte inculte, mais qui serait susceptible de culture ;  cette côte est bornée à l'ouest par le grand pays brûlé, ainsi nommé parce qu'il n'est couvert que de la lave du volcan. Je n'ai pu  savoir au juste l'étendue des pays brûlés : le grand pays pourrait occuper dix ou douze lieues de côte et le petit cinq ou six. Je ne puis non plus déterminer la nature du climat ; j'ai lieu de le supposer frais et pluvieux. A quatre lieues de Saint-Benoît, en remontant par le nord-ouest, on trouve la paroisse de Sainte Suzanne, ce quartier est un des plus peuplés de l'île ; les pluies quelque moins abondantes qu'à Saint-Benoît le sont assez pour fertiliser la terre : aussi ce quartier est très cultivé ainsi que celui de Saint-André.

Saint-André  est une petite paroisse à une lieue et demie de Sainte Suzanne  vers le sud, et à une lieue environ de la mer sur le penchant de la montagne : c'est l'unique paroisse de l'île qui ne soit pas située sur la côte.

A une lieue et demie de Sainte Suzanne, en suivant la côte à l'ouest, on trouve la petite paroisse de Sainte-Marie ; il y pleut moins qu'à Sainte Suzanne. La terre y est encore assez fertile, surtout au bas, et sur la croupe de la montagne qui est éloignée d'environ une lieue du bord de la mer. Le long de la côte, on ne trouve guère que des savanes ou des pâturages ; les plantations de blé, de maïs, de café, etc., occupent le bas des montagnes.

En continuant de traverser la savane après deux heures et demie de chemin, on arrive à Saint-Denis, chef-lieu de toute l'île, résidence du gouverneur et du conseil souverain. Saint-Denis est situé à la partie la plus septentrionale de l'île par 20 degrés 51 minutes 43 secondes de latitude australe et par 13 degrés 10 minutes de longitude. Toute la plaine à l'est et au sud de Saint-Denis est encore en savanes : ces pâturages étaient presque desséchés lorsque je les ai vus : ils venaient d'éprouver une sécheresse de six mois. Il pleut rarement à Saint-Denis ; cependant, les chaleurs n'y sont pas excessives. Les montagnes s'approchent de la côte et m'ont paru incultes. Ceux qui ont des habitations les ont choisies plus à  l'est en tirant du côté de Sainte-Marie ou même au-dessus des montagnes qui bornent le quartier de Saint-Denis, du côté de l'ouest. Il pleut vraisemblablement plus sur ces montagnes que dans la plaine de Saint-Denis. Au moins, ces montagnes m'ont presque toujours paru couvertes de nuages épais, lorsque nous jouissions en bas d'un temps clair et serein.

Pour continuer de faire le tour de l'île par terre, il faut nécessairement escalader la montagne de Saint-Denis, car durant l'espace de quatre lieues, les montagnes servent de côtes à la mer. Du gouvernement au cap Saint-Denis, ou au cap Bernard, ou au cap de l'Assomption (on lui donne ces trois noms) M. l'Abbé de la Caille jugeait qu'il pouvait y avoir 5 ou 600 pas ; il n'y a certainement pas un quart de lieue et, sur la carte de l'île de Bourbon au huitième volume des Voyages, on a fait cette distance de deux lieues et demie. Un beau chemin, pratiqué sur la croupe de la montagne de Saint-Denis, en rend la montée très facile ; il n'en est pas de même des montagnes suivantes : elles forment des vallées auxquelles on a donné les noms de Grande-Ravine, de Ravine à Jacques, de Grande Chaloupe, de Petite Chaloupe, et de Ravine à Malheurs. Dans la Grande et la Petite Chaloupe  surtout, je crois que l'inclinaison du chemin à l'horizon est souvent de 45 degrés. Ce chemin serait absolument impraticable s'il n'était pas pierreux ; les pierres attachées fermement à la terre forment autant de marches et changent le chemin en escalier. Les chevaux sont, dit-on, accoutumés à ces montées et à ces descentes ; il n'y a rien à craindre, il suffit de les laisser aller ; pour le plus sûr, j'ai mis pied à terre toutes les fois qu'il s'est agi d'entrer dans ces chaloupes ou d'en sortir. Je suivais mon cheval qui était conduit par un Noir ; je ne me suis point aperçu qu'il ait fait un seul faux pas. Toutes ces montagnes sont incultes. Lorsqu'on les a traversées, on entre dans une grande plaine également inculte, pierreuse et desséchée dans la saison où nous étions alors. Quelques maisons, à l'entrée de cette plaine, forment une espèce de hameau qui se nomme la Possession parce que c'est en cet endroit que les Portugais ont pris possession de l'île au nom de Jean IV, et les Français au nom de Louis XIV. Il y a des terres cultivées vers le bas des montagnes qui sont au sud et au sud-est de la Possession. De là jusqu'à Saint-Paul, on compte 3 lieues. Le chemin est uni mais pierreux, on traverse sur un pont l'étang dont j'ai parlé ci-dessus. Les bords de l'étang étaient couverts d'une belle verdure ; on voyait à droite et à gauche des allées et des semences de cocotiers et de dattiers ; des fleurs sauvages émaillaient agréablement la terre mais cette verdure ne s'écarte point de l'étang. Presque tout le reste du terrain est sec et sablonneux jusqu'à Saint-Paul. Le sable est noir, c'est ce qui lui fait retenir la chaleur du soleil et le rend brûlant. J'étais quelquefois obligé de courir pour ne me pas brûler les pieds. Durant les grandes chaleurs, on ne sort que le matin et le soir. Si un Noir reçoit quelque commission vers midi, il se munit de feuilles de lataniers qu'il jette successivement et alternativement devant lui pour éviter de se brûler en marchant pieds nus sur le sable. Le climat de Saint-Paul est très sec et très chaud ; cependant M. de la Nux m'a assuré que la hauteur de la liqueur du thermomètre de M. de Réaumur n'y excédait jamais 28 degrés. Nonobstant cette sécheresse et cette chaleur, le quartier de Saint-Paul est le plus considérable et le plus peuplé de l'île. La supériorité de la rade sur celle de Saint-Denis y contribue sans doute beaucoup ; mais d'ailleurs la montagne voisine est beaucoup plus tempérée et beaucoup plus fertile. Chaque famille y a une habitation et est plus attentive à cultiver qu'on ne l'est communément à l'île de France. Ces habitations qui ne s'étendent que jusqu'à mi-côte, sont cependant très élevées.

M. de la Nux  donnait à la sienne 1200 toises au-dessus du niveau de la mer : une longue suite d'observations lui avait persuadé que la liqueur du thermomètre s'y tenait constamment 4 degrés plus bas que dans sa maison de Saint-Paul. Aussi le 18 de Novembre, mon thermomètre étant monté à 28 degrés, celui de M. de la Nux, à son habitation, avait atteint seulement 24 degrés. Les ruisseaux qui sourdent du bas de la montagne ont donné occasion d'y planter des jardins, d'y semer du blé, du riz, etc.

Au-delà de Saint-Paul, les montagnes recommencent à servir de bornes à la mer mais elles ne sont pas si hautes et le chemin n'y est pas si difficile qu'entre Saint-Denis et la Possession. A trois lieues de Saint-Paul on trouve la rivière de Saint-Gilles.  L'éditeur du journal du voyage de M. de la Haie [9] croit qu'on pourrait avec un peu de travail ouvrir avantageusement cette rivière qui tire à son embouchure trois brasses d'eau, fond de roches.

Il y a plusieurs habitations à Saint-Gilles ; elles dépendent de la paroisse de  Saint-Paul.

Enfin vers le sud-ouest de l'île, du côté de la rivière d'Abord, il y a deux paroisses sous l'invocation de Saint-Pierre et de Saint-Louis ; outre les provisions nécessaires à la subsistance des habitants, on y cultive beaucoup de café. Elles sont assez peuplées, à deux lieues de distance l'une de l'autre, la plus éloignée étant distante de Saint-Paul  de 15 lieues. Je compte qu'il y a environ 6 ou 7 lieues de Saint-Louis  au pays brûlé. Il y a dit-on vers cette côte un très beau château [10] avec un jardin très bien entretenu, appartenant de droit héréditaire à M. des Forges  gouverneur de l'île de France. On assure que ce lieu ne déparerait pas les bords de la Seine aux environs de Paris.

Ces huit paroisses sont desservies par treize prêtres de la mission ou de Saint-Lazare, aussi estimés et aussi estimables que ceux de l'île de France. Il n'y a aucun curé à Saint-André, à Sainte-Marie et à Saint-Louis. Dans les autres paroisses, il y a un curé et un vicaire. Il y a de plus un clergé de la même congrégation à Saint-Denis qui, conjointement avec le curé, le vicaire et quelques autres personnes, travaille à la desserte d'un collège qui y est établi. En temps de paix on envoie à ce collège des écoliers non seulement de l'île de France, mais des Indes ; on y a vu même des élèves portugais. La guerre l'avait rendu presque désert. M. Teste [11] , curé de Saint-Denis, est de plus vicaire général de M. l'archevêque de Paris duquel ces îles dépendent. Le Souverain-Pontife avait même établi son vicaire apostolique, avec pouvoir de conférer le sacrement de confirmation durant dix ans. Le terme était écoulé, on attendait la paix pour faire renouveler ces pouvoirs.

J'ai parlé quelquefois du pays brûlé tant grand que petit et j'ai dit qu'on le nommait ainsi parce qu'il était couvert de la lave du volcan. Il y a en effet un volcan à Bourbon un peu au sud-est du milieu de l'île. Il est assez tranquille hors du temps des grandes pluies : l'eau semble l'irriter [12] ; il lance alors des feux dont on voit quelquefois la lumière du Morne-Brabant dans l'île de France et sa lave se répand vers les côtes les plus voisines. Ce volcan est peut-être la sauvegarde de l'île. J'ai rassemblé des échantillons des pierres les plus communes à Saint-Denis et à Saint-Paul ; ce sont les deux quartiers les plus éloignés du volcan. Ces pierres portent les caractères les plus décisifs de l'incendie auquel toute l'île a été sujette. Les feux souterrains s'étant fait maintenant une libre issue par la bouche du volcan, il est à présumer qu'ils continueront à s’échapper par cette voie sans troubler le reste de l'île.

Je me suis attaché à considérer attentivement les pierres de l'île, depuis Sainte-Suzanne jusqu'à Saint-Paul. J'en ai trouvé des blanches ; c'était à ce qu'il m'a paru une espèce de granit divisé par couches ; la surface intérieure de chaque couche était dorée : je serais tenté de croire que c'est de la mine d'or, j'en ai trouvé très peu. J'ai rencontré aussi quelques pierres noires, grises, violettes et de couleur rougeâtre ; d'autres étaient noires en partie et en partie rouges ; d'autres enfin étaient noires ou brunes, divisées comme par couches et la superficie extérieure de chaque couche était rouge. J'en ai trouvé un très grand nombre de noires ou plutôt brunes, portant des marques manifestes de calcination, criblées dans toute l'étendue de leur substance et souvent friables ; il n'est point d'endroit où je n'ai trouvé des pierres de cette espèce mais elles abondent plus à Saint-Denis et à la Possession qu'à Saint-Paul. Il y a aussi, surtout dans la rivière de Saint-Denis, en la remontant même jusqu'à une lieue, beaucoup de pierres tant criblées que non criblées de différentes couleurs dont la substance est parsemée de particules qui paraissent cristallines ou métalliques.

Pour faire le chemin qui conduit au haut de la montagne de Saint-Denis, on a creusé une roche de couleur brune ou noirâtre, assez dure en quelques endroits, absolument friable en d'autres ; quelque part que je la rompîsse, j'y trouvais de petits globules d'une ou deux lignes de diamètre, extrêmement blancs ; quelques-uns paraissaient absolument solides, d'autres ressemblaient à un amas de petites aiguilles ou de petits filaments de substance cristalline. J'ai vu, le long de la rivière, des pierres qui contenaient de semblables globules. J'ai jugé que d'autres étaient de véritables poudingues dont les cailloux étaient liés par un ciment rouge ; une petite pierre rouge que j'ai ramassée sur le bord de la rivière a été décidée, par un naturaliste de l'île, être de l'ocre rouge, mêlée de quelques particules minérales. Presque toutes ces pierres, au voisinage de la mer, sont arrondies et presque polies, comme le galet même de la mer. Mais je me suis assuré qu'elles venaient de l'intérieur de l'île, vu que plus je remontais la source de la rivière, plus ces pierres devenaient abondantes et moins elles étaient polies et arrondies. C'est sans doute la rivière qui, dans ses grandes crues, coulant impétueusement à travers les rochers de l'intérieur de l'île, détache ces pierres, les roule dans ses eaux et leur donne une forme de galet d'autant plus parfaite qu'elle les a roulées plus longtemps.

J'ai remarqué dans les roches qui mettent Saint-Paul à l'abri du vent du sud, que plusieurs d'entre elles affectent cette régularité que l'on remarque souvent dans les carrières. Quoique les pierres de ces roches m'aient paru assez homogènes, elles semblent cependant séparées comme par couches horizontales, interrompues quelquefois par des crevasses verticales qui ne nuisent point à la symétrie des couches. Mais cette régularité m'a semblé se démentir à quelques endroits. Ici les couches paraissent plutôt verticales qu'horizontales ; là une pierre d'un grain noir et comme brûlé est interrompue par une autre pierre moins noire et d'un grain différent, laquelle s'étend obliquement jusqu'à douze, quinze et vingt pieds sur le fond de la pierre noire, où elle paraît comme incrustée.

Plusieurs pierres de Bourbon m'ont paru manifestement incrustées de particules ferrugineuses ; mais ce qui me permet de douter qu'il n'y ait beaucoup de fer dans l'île, c'est le sable noir du quartier de Saint-Paul : ce n'est presque que du fer, comme je m'en suis convaincu par la preuve de l'aimant.

Nonobstant l'étendue et la hauteur de montagnes, l'eau n'abonde pas à Bourbon autant qu'on le désirerait. Les petits ruisseaux sont à sec durant une grande partie de l'année. Quelques-uns plus considérables coulent toujours ; tels sont la rivière de Saint-Denis, l'étang de Saint-Paul. Ces ruisseaux se gonflent quelquefois et deviennent très considérables au moment qu'on s'y attend le moins, ce qu'on attribue avec raison ou à des fontes de neige [13] ou à des pluies abondantes dans l'intérieur de l'île, sur les montagnes. Le quartier de Saint-Paul est arrosé par un nombre infini de petits ruisseaux du moins entre la montagne et l'étang, ce qui donne occasion d'y cultiver du riz ; on sait que cette plante aime à avoir toujours le pied dans l'eau.

On cultive aussi du riz en d'autres quartiers de l'île, mais elle produit au moins autant de blé que de riz. Pour peu que la moisson ne soit point traversée par une constitution trop défavorable de l'air, on récolte, en riz, en blé, en manioc, etc., non seulement de quoi nourrir tous les habitants de l'île, on se trouve de plus en état d'en faire des exportations considérables à l'île de France ; c'est ce qui est arrivé l'année même que je suis parti de l'île. M. de la Nux prétend s'être assuré par plusieurs expériences que la terre de Bourbon rend au moins 200 pour un. On y cultive deux sortes de blé-froment : l'un qui ressemble au nôtre et qui peut-être est originaire de France, l'autre, beaucoup plus petit, qu'on appelle blé de Bengale, du lieu de son origine. La moisson ne se fait pas partout en même saison : dans les lieux les plus visités par la pluie, on sème en mai et juin pour recueillir en octobre ; dans d'autres endroits, on sème en novembre ou décembre pour faire la moisson en mars ou avril. Si on voulait ensemencer la Plaine des Caffres, je conjecture qu'il faudrait semer le blé en avril et mai pour ne les récolter qu'en janvier. Plusieurs quartiers pourraient donner deux moissons par an mais on fait sagement de ne le point exiger de la terre, ce serait la faire trop travailler.

Pour convertir le blé en farine, on emploie des moulins à bras. On a construit un moulin à vent près de Saint-Denis, mais on ne s'en sert pas ; la force du vent est trop inconstante : après avoir soufflé faiblement, durant une heure ou deux, de manière que pour entretenir l'action du moulin il a fallu [     ] de voiles et mettre en jeu tout ce qui pourrait faciliter son mouvement, il survient une rafale imprévue qui précipite tout ; ce n'est plus de la farine, ce sont des quartiers de blé qui passent avec le son. Je suis sûr qu'un tel inconvénient ne serait point regardé en France comme irrémédiable.

Le café est une des productions les plus essentielles de Bourbon. On sait que le café est au moins autant supérieur à celui de la Martinique qu’il est inférieur à celui de Moka. Les colons se sont engagés à cultiver une certaine quantité que la Compagnie s'est pareillement engagée de prendre sur le pied de quatre piastres la balle : la balle pèse environ 105 livres. Il n'y a point de plantations de café le long de la côte ; elles sont toutes établies vers le pied des montagnes. Il faut, dit-on, du [bois] pour abriter ces plantations et il n'y en a plus sur la côte : on en a abattu. L'ouragan de 1751 en a déraciné beaucoup et a d'ailleurs presque détruit toutes les plantations de café voisines de la mer. D'autres arbres ont péri par une espèce de maladie : certains insectes déposent leurs dépouilles ou leurs oeufs, ou plutôt leurs chrysalides sur l'écorce et les feuilles de certains arbres qui en deviennent absolument noirs. A Rodrigue, je n'ai vu que quelques citronniers atteints de cette maladie ; à Bourbon, elle est plus générale, mais elle ne règne que sur les bords de la mer. Vers Sainte-Marie, un plant entier de citronnier en était attaqué ; il n'a pas dû tarder à périr.

On cultive à Bourbon du tabac et des cannes à sucre. Le tabac est assez fort, mais on lui préfère notre tabac des bureaux de France lorsqu'on peut trouver l'occasion d'en acquérir. Le sucre est fort bon ; je n'en ai point vu en pain, mais seulement en poudre ; c'est une espèce de cassonade, plus purecependant, plus fine et plus raffinée que nos cassonades de France. On fait aussi du sirop de canne qu'on ne réduit point en sucre ; ce sirop en tient lieu surtout dans les années de cherté, telles qu'ont été les dernières années de la guerre. On tire enfin des cannes une espèce de vin auquel on a donné le nom de sangorin : cette liqueur m'a paru agréable au goût ; prise avec excès elle incommode, dit-on, beaucoup plus que le vin. On en peut aussi extraire de l'eau de vie ou de l'arack de sucre. En Amérique on a donné le nom de Taffia à cette eau de vie.

Le coton est un des objets de la culture de Bourbon. Il y en a de différentes espèces : on a donné à une le nom de petit coton à graines blanches. Elle diffère des autres en ce que ses feuilles sont beaucoup plus petites et qu'elles sont comme divisées en cinq au lieu que les autres espèces ont les feuilles divisées seulement en trois. Cette espèce est la plus rare ; elle donne du coton plus fin mais elle en produit moins que les deux autres. Outre le coton, l'île produit de la grande et de la petite ouate : la petite ouate, ou ouate du Sénégal, forme un arbrisseau haut de trois pieds ou environ ; les feuilles sont longues et étroites, faites en forme d'épée à deux tranchants. M. de la Nux en ayant présenté à des vers à soie, ils en ont mangé et sont morts aussitôt en s'allongeant beaucoup et en devenant raides comme des bâtons.

Il y a des vers à soie à Bourbon, mais je doute qu'on en ait tiré beaucoup de profit jusqu'à présent. On les nourrit de feuilles de mûrier de Bengale. Le fruit de cet arbre est fort inférieur à celui de nos mûriers pour la grosseur et pour le goût, les feuilles en sont excellentes pour les vers à soie. M. de la Nux prétend qu'il réussirait très bien en France et même dans des pays plus froid, et qu'il serait d'ailleurs préférable à celui que nous appelons mûrier blanc.

On n'élève pas ordinairement ici les abeilles dans des ruches préparées exprès : on s'en rapporte entièrement à elles sur le choix des lieux qui leur conviennent, mais comme ces lieux ne sont pas inaccessibles, on les remarque, et lorsque les mouches ont bien travaillé à la confection de leur cire et de leur miel, il arrive souvent qu'elles n'ont pas travaillé pour elles. La cire sert comme ailleurs à faire des cierges et de la bougie.

Les gouverneurs font cultiver à quelque distance du gouvernement un grand jardin connu sous le nom de Jardin de la Compagnie [14] . Je ne sais si ce jardin est directement utile à la compagnie, mais je sais au moins, en général, que la Compagnie a dans l'île de Bourbon des possessions plus réelles qu'à l'île de France. Ce jardin, ainsi que plusieurs autres jardins de particuliers dans l'île, abonde en fruits et en légumes. Les principaux fruits de cette île sont premièrement les oranges. J'y en ai vu de deux espèces : les unes ont l'écorce très épaisse, leur douceur va jusqu'à la fadeur ; les autres ont la peau extrêmement fine ; je doute que l'on puisse manger ailleurs un fruit plus délicat. Outre ces oranges que l'on peut appeler communes, il y en a deux autres moins connues : j'ai parlé plus haut de la première espèce à laquelle on a donné le nom de pamplemousses ; l'autre est plus petite, elle imite la pomme d'api pour la grosseur et pour la forme aplatie ; elle est fort douce, agréable au goût mais moins relevée cependant que les plus communes à peau fine ; elle est originaire de Madagascar où elle est connue sous le nom de Ouangasaïes.

Les citronniers et les limonniers sont aussi très communs à Bourbon. J'ai parlé déjà des ananas, des bananiers, des figuiers, des papayers, des gouyaves. J'ai vu ici une fleur de ce dernier fruit : elle était blanche, d'une odeur suave, à peu près de la grandeur d'une []. On pouvait la regarder comme semi-double, ses pétales pendaient en bas, six autres au-dessus formaient une espèce de calice, lequel, outre plusieurs autres pétales naissantes, contenait six étamines et un pistil. Les étamines jaunes ne portaient point leur poussière prolifique à leur sommet, mais tout le long de leur vif ou de leur fût, s'il est permis d'employer ce terme, en dedans de la fleur c'est-à-dire du côté du pistil. Quatre de ces étamines étaient aplaties et comme collées sur autant de pétales naissants et, vers leur sommet, elles se divisaient en deux pour former une [v] sur les pétales ; les deux autres étamines étaient plus rondes, absolument isolées des pétales et ne se divisaient point à leur sommet.

Le manguier est ici très abondant, j'ai parlé de son fruit dans la description de Rodrigue. Il faut désespérer de voir jamais cet arbre en France si ce qu'on m'a assuré à Bourbon est vrai qu'il faut, aussitôt que l'on a ouvert le fruit, en arracher le noyau, en retirer l'amande et la planter à l'heure même, si l'on veut qu'elle fructifie. L'amande a la figure d'une fève haricot, mais elle est beaucoup plus grosse ; il faut en la plantant avoir soin que le germe soit en haut : lorsqu'elle a germé, elle pousse sa fève hors de terre comme le font nos fèves haricots. Si on veut transplanter le manguier, il faut différer le moins qu'il est possible ; plus il sera jeune, mieux cette transplantation réussira ; pour peu qu'on attende, il n'est plus temps.

J'ai pareillement parlé de l'atte et de l'anone. J'ajouterai seulement ici que le suc de l'écorce de l'anone passe pour un violent caustique et qu'on l'emploie avec succès contre les verrues, les dartres, etc.

La ouavangue est une espèce de nèfle, qui est une plante de la famille du café, estimée de plusieurs. On trouve ici des pêches sauvages naturelles au pays : les feuilles de l'arbre qui les portent ressemblent plutôt à celles du laurier-cerise qu'à celles du pêcher ; son bois est le plus beau que l'on connaisse ; on le préférait au bois de natte, au palissandre [          ] s'il pouvait leur être comparé pour la grosseur. La jame-rose est une espèce de prune ou de brugnon ; la peau est blanche, rouge d'un côté, la chair très blanche ; ce fruit sent la rose encore plus au goût qu'à l'odorat. De trois james-roses que j'ai vu ouvrir, l'une renfermait un noyau, la seconde deux, et la troisième trois. J'avais apporté ces noyaux jusqu'à Paris, mais je les ai trouvés en morceaux, sans pouvoir y distinguer aucun vestige d'amandes.

Le tamarin ou tamarinier est un très bel arbre de la taille de nos plus fort noyers, bien touffu, feuilles ressemblantes à celles de l'acacia mais plus rondes, arrangées deux à deux le long de la côte : pour fruit, il rapporte des siliques longues comme le doigt et même plus et remplies d'une substance molle, assez ressemblantes à la marmelade d'abricots pour la consistance et pour la couleur ; cette marmelade noircit avec le temps, son goût est aigrelet ; elle est rafraîchissante et un peu laxative. Les Noirs en sont très friands et en dérobent autant qu'ils peuvent. Dans la substance même de cette marmelade, on trouve en chaque silique trois graines ; imitant le lupin pour la figure et la fève pour la grosseur. La silique est verte d'abord ; en mûrissant elle prend une couleur de feuilles mortes ; on fait des pains de tamarin dont les voyageurs peuvent faire des provisions ; le tamarin se conserve assez longtemps sans se gâter.

La bringelle croît sur un arbrisseau. J'ai trouvé beaucoup de rapport entre cette plante et le solanum dont j'ai parlé dans la description de l'île de France : ce sont les mêmes feuilles et les mêmes fleurs ; aussi ce solanum est-il appelé, à Bourbon, bringelle sauvage. Les principales différences sont premièrement que le fruit du solanum est d'un beau jaune orangé lorsqu'il est mûr -celui de la bringelle est verdâtre- ; deuxièmement le premier est plus petit et presque rond, le second plus gros et oblong ; troisièmement, on mange celui-ci, l'autre est corrosif et pris en une certaine quantité, il est mortel ; quatrièmement la bringelle a beaucoup d'épines à ses feuilles, le fond de sa fleur en est seul hérissé.

Les principaux palmiers connus à Bourbon sont le palmier proprement dit, le dattier, le latanier, le vacoua et le cocotier. Le dattier est celui qui porte le fruit connu sous le nom de dattes. C'est l'espèce de palmier la plus connue des Anciens, c'est celle qui mériterait peut-être de porter le nom de palmier proprement dit mais l'usage de nos insulaires s'y oppose. Les vacouas de Bourbon sont cultivés, aussi sont-ils et plus grands et plus beaux que ceux des deux autres îles. On m'a donné l'instruction suivante sur la manière de planter les cocotiers : il faut, en pleine terre ou dans la terre contenue dans une grande caisse, faire un trou assez grand dans le fond duquel on mettra du sable de rivière ; on scie ensuite le coco pour en ôter un bon pouce du côté de la queue, de manière que l'incision n'endommage point l'amande, mais on la laisse presque à découvert ; on place le coco sur le sable, la partie incisée tournée en haut, et on le recouvre de deux ou trois pouces de terre légère. Il s'écoule six mois, quelquefois un an avant que le germe paraisse hors de terre mais, dès qu'il est levé, il croît avec rapidité. On transplante aisément le cocotier. Lorsqu'il commence à grandir, il aime mieux la pleine terre que la caisse parce qu'il étend beaucoup ses racines. En Europe, il faut le planter en février, mars ou avril. Le cocotier demande beaucoup d'eau.

Le raisin terminera ce que j'ai à dire des fruits de Bourbon. Il n'y a point de vignes dans l'île, mais seulement quelques treilles : j'ai mangé du raisin de ces treilles. Le 13 de novembre, il était assez bon mais il n'avait pas encore atteint sa parfaite maturité. Je ne doute point que la vigne ne pût réussir à Bourbon mais tous les quartiers n'y seraient peut-être pas également propres : un des plus grands inconvénients viendrait sans doute de la part des Noirs qui ne donneraient point au raisin le temps de mûrir.

Le bois ne manque pas à Bourbon, mais on y éprouve le même inconvénient qu'à l'île de France ; on coupe le bois et il ne repousse pas. Les principaux arbres dont j'ai eu connaissance, outre ceux dont j'ai parlé, m'ont été pour la plupart désignés par des noms sous lesquels les naturalistes les reconnaîtront difficilement. Tels sont le bois de natte à petites et à grandes feuilles, le bois-blanc, le bois-rouge, le bois-jaune, la patte de poule, le joli-coeur, le bois de [      ], etc. J'ai déjà dit que le bois de natte était très propre aux ouvrages de menuiserie : on mange le fruit de cet arbre, il n'est pas fort délicat : on l'emploie pour engraisser les bestiaux et surtout les chevaux mais tous n'en mangent point. Cet arbre rend un suc laiteux dont on fait de la glu pour prendre les oiseaux.

Je n'ai vu du bois blanc qu'un de ses fruits ; c'était une espèce de noix qui avait la figure d'une poire. Il distille du bois rouge une gomme équivalente à la gomme arabique. Ce bois est un puissant émétique. L'écorce du bois jaune est un excellent vermifuge, même lorsqu'elle est desséchée. En général, tout ce bois, mais principalement l'écorce prisée en infusion est purgative, stomachique, mais très chaude, elle détache les humeurs, les dépose dans les intestins, mais elle n'a pas assez de force pour les bien évacuer ; il est à propos de la mêler avec quelques sels : le bois jaune est fort amer. La patte de poule est un bois aromatique : ses feuilles mêmes desséchées sont un excellent vulnéraire, elles pénètrent même jusqu'à la poitrine et sont très bonnes dans la pulmonie, mais il ne faut en user intérieurement qu'avec beaucoup de sobriété ; autrement, elles porteraient à la vessie et feraient, m'a t-on dit, le même effet que les mouches cantharides. J'avais apporté une branche de cet arbre, ainsi que des deux arbres suivants ; j'ai donné le tout à M. Adanson qui en a reconnu plusieurs dont il m'a donné les noms.

Le joli-coeur, espèce de célastrus, est aussi un bois aromatique ; ses feuilles desséchées ont presque autant de vertu que celles de la patte de poule. On amalgame souvent ces deux vulnéraires ensemble pour les appliquer en topique, soit pour les faire prendre intérieurement, mais il faut être sobre dans ce dernier cas. Les feuilles de Cubebe sont une épicerie : on s'en sert en guise de poivre ; on doute si, étant desséchées, elles auraient la même force. Le fruit de cubebe est gros ; on en trouve la description au quatrième volume de l'encyclopédie et ailleurs. J'ai donné aussi à M. Adanson une branche d'une espèce de cannelier mais je doute qu'elle soit de la bonne espèce ; celle-là est encore plus épicée et plus piquante. J'apportais dans des bambous de vrais canneliers du Réduit de l'île de France ; ils étaient originaires de Ceylan. Tout cela s'est dissipé lorsque nous avons été pris par les Anglais près des Açores.

Le tan-rouge est un arbre de 60 à 70 pieds de hauteur dont la graine est presque imperceptible. Pour le tan, on se sert ordinairement à Bourbon d'écorce de benjoin ; on a quelquefois employé celle de l'arbre dont il est ici question : l'épreuve a réussi d'ailleurs, mais le tan s'est trouvé exactement rouge ; c'est l'origine du nom que l'on a donné à l'arbre. J'ai dit plus haut que le benjoin de ces îles n'était pas un véritable benjoin.

La gomme de tacamahaca passe pour le meilleur des balsamiques. L'ébénier est de trois espèces comme à l'île de France. Le pignon d'Inde sert à faire des haies et des enclos : on l’entrelace de raquette pour rendre l'entrée plus difficile aux hommes et aux animaux.

On distingue deux sortes de cadoques ou caretti ou bonducs de la grande espèce : le noir et le blanc ; j'ai donné sur Rodrigue la description de cet arbrisseau.

Le cadoque noir, disent-ils, est plus gros que le blanc ; il est ainsi appelé, parce qu'il a une ligne noire qui l'entoure en partie, comme les fèves ont une espèce de ligne qui couvre leur germe ; il a de plus la coque du noyau bien plus fine, et par conséquent le noyau moins dur que le cadoque blanc ; au reste, les deux espèces ont les mêmes propriétés. Le balisier du Sénégal est une espèce de plante de la famille du gingembre ; il n'a qu'une tige principale et des feuilles semblables à celles du maïs, mais plus petites, bien plus rares et d'un vert plus foncé. Une liane dont j'ignore le nom avait des graines assez semblables à celles du balisier du Sénégal : sa feuille veloutée est faite en forme de poire ; de trois pouces et demi de long sur près de trois pouces de large par le bas.

Le mouronguier, arbre originaire des Indes est d'assez haute futaie : ses feuilles rangées deux à deux le long des côtes ressemblent assez à celles du buis ; elles sont moins longues, beaucoup plus minces et d'un vert plus clair, tirant sur le vert de l'oeillet. On les mange en guise d'épinards, surtout lorsqu'elles sont jeunes : c'était de ces feuilles dont M. Puvigné nous faisait manger à Rodrigue sous le nom de séné. Les Malabars en font usage dans leurs carrisa. La fleur du mouronguier est composée de 10 pétales presque blanches avec une teinte très légère de violet ; cinq de ses pétales, situés plus bas que les autres, embrassent toute la tige par leur pied, mais ils se replient d'un même côté, laissant l'autre côté absolument dégarni. Des cinq pétales supérieurs qui forment le calice, quatre se replient pareillement du même côté, et le cinquième seul occupe l'autre côté en s'élevant en haut, comme pour protéger l'intérieur de la fleur. Cette fleur a cinq étamines à poussière jaune et, dans le fond du calice, un pistil, lequel jette un filament plus long que les étamines. Les siliques ont environ un pied de long ; elles sont composées de trois cosses larges de 4 à 5 lignes et disposées en forme de prisme triangulaire ; sous chaque cosse est une rangée de mourongues accouplées irrégulièrement une à une, deux à deux, trois à trois et quatre à quatre. Entre ces différents accouplements, il y a 7 à 8 lignes de distance ; les mourongues accouplées ne se touchent pourtant point. Ce fruit est blanc, de la même consistance que nos noisettes, plus petit cependant et couvert d'une peau brune. Si on le mange après avoir enlevé cette peau, on le trouve d'abord assez bon et d'un goût approchant de celui de nos meilleures noisettes, mais ce goût fait bientôt place à une amertume disgracieuse. Du côté de la figure, la mourongue a quelques ressemblances avec un tétraèdre dont une base serait arrondie.

Outre plusieurs légumes européens qui réussissent à Bourbon, outre les ambrevades rouges et blanches et quelques autres légumes indiens, dont j'ai parlé sur l'île de France ou sur celle de Rodrigue, j'ai vu à Bourbon d'autres légumes que je n'avais point remarqués dans les deux autres îles. Telle est surtout la pépingaïe. Le pépingaier est une liane très propre pour garnir des berceaux, il n'est pas vivace ; je ne me suis pas rencontré dans la saison propre pour examiner ses feuilles et ses fleurs. Je sais seulement que la fleur est jaune. Le fruit est un très bon légume de la grosseur d'un concombre. Lorsqu'il est encore vert et qu'il n'y a point de filandres formées dans la chair et que le couteau peut y entrer aisément, on le ratisse légèrement pour ôter un duvet qui le couvre, on le coupe par tranches, on lui donne un bouillon, on le sert à la sauce blanche. Si l'on attend trop longtemps, la chair devient filandreuse, elle se durcit ensuite et forme une calebasse ou une coque qui renferme les graines : ces graines sont noires de la figure et de la grosseur au moins des pépins de melon ; elles sont fort amères et très purgatives.

On peut mettre au nombre des légumes, les plantes que les habitants de ces trois îles appellent brèdes : c'est le nom générique qu'ils donnent à toutes les plantes qu'on a coutume de hacher pour les manger en guise d'épinards. J'ai vu à Bourbon deux de ces brèdes auxquelles on a donné le nom de brède pariétaire et de brède pariétaire épineuse : on connait encore la première sous le nom d'épinard des Indes ; on m'a dit que la seconde s'appelait, en terme de botanique, pariétaire maculata. L'une et l'autre ont quelques rapports avec nos épinards ; elles diffèrent entre elles en ce que la première n'a point d'épines ; leur graine, lorsqu'elle est mûre, ne diffère de la graine du tricolor que par son extrême petitesse. On pile aussi la brède pariétaire épineuse pour en faire usage dans les lavements.

L'herbe étintel tire son nom d'un mot malgache qui signifie miel ; on la nomme ainsi parce que les mouches à miel la fréquentent par préférence. Je ne crois cependant pas avoir jamais respiré une odeur aussi fétide que celle du bois, des feuilles, des fleurs et des gousses de cette plante ; je n'en donne qu'une faible idée en la comparant à celle qui s'exhalerait d'un mélange d'ail avec les vidanges les plus infectes. La fleur est blanche et a quatre pétales ; elle ressemblerait à celle du jasmin si ces quatre pétales étaient réduits en un seul par le pied, comme cela arrive dans le jasmin. Un filament naît du milieu de ces pétales et aussitôt, de la fleur, il s’élève fort au-dessus des pétales et bien en dehors ; il porte à son extrémité supérieure six longues étamines et un pistil. Il y a deux sortes de feuilles : les unes petites, situées contre la tige de l'arbrisseau à la naissance des fleurs et des petites branches, sont absolument semblables et égales à celles du trèfle ; les autres, à l'extrémité de petites branches, imitent celles du petit coton dont j'ai parlé plus haut ; égale en largeur à celles du chêne, elles ne sont pas plus longues que larges ; elles sont comme divisées en cinq espèces de testons ainsi que celles du chêne, de la vigne et du figuier, etc. On m'a dit que cette plante était une espèce de bec de grue : nonobstant sa puanteur, les malabars en mangent les feuilles accommodées en brèdes et, c'est pour cela que je la mets à la suite des légumes de Bourbon.

L'île est très abondante en simples de toute espèce. Voici les principaux que j'ai pu y remarquer :

L'amium, c'est une ortie qui tient un milieu entre l'ortie morte et l'ortie royale tirant plus de celle-ci que de l'autre ; c'est un excellent anodin, fort bon contre le flux de sang, le flux hépatique, le flux dysentrique, etc. Pour l'employer, on met la fleur en décoction dans du lait.

Arrête de boeuf ou crotolaria ; c'est une espèce de genêt. J'ai remarqué que sa feuille qui n'est point celle du genêt varie singulièrement dans sa grandeur et dans sa figure : ici elle imite celle du trèfle, là elle excède la grandeur de celle du pois ; elle est ronde, elliptique, pointue, etc. La graine est dans les siliques.

Hérisson rouge et hérisson blanc : ces deux plantes se ressemblent assez, la graine est comme hérissée de petites pointes, elle est rougeâtre dans le hérisson rouge et blanchâtre dans le blanc. On dit que le rouge est la mauve, et le blanc la guimauve de Bourbon. Le blanc est un excellent béchique : il est humectant, pectoral, mucilagineux. On retire d'ailleurs de ces deux plantes la même utilité que nous retirons du chanvre en France. On en fait une très bonne filasse pour les cordages.

Une plante que j'ai prise d'abord pour un jonc, c'est une espèce de souchet ; elle a aussi quelque rapport avec l'oeillet.

L'herbe de Laurent-Martin a la figure du romarin mais elle doit plutôt entrer dans la classe des plantes composées ; elle paraît être une espèce de serratula ; c'est un excellent simple qu'on m'a dit être inconnu en Europe. Il est vulnéraire, hystérique, résolutif ; on l'applique en topique ; on ignore si on l'a jamais pris intérieurement.

Une menthe que l'on m'a désignée par le nom de mentha foetida ; c'est un grand hystérique ; elle est résolutive, bonne contre les douleurs de la goutte et de la sciatique : on l'applique pareillement en topique.

Herbe à sornet : on la croit de la classe des benoîtes ou des galiotes ; elle est excellente pour réparer les vieilles terres, pour la nourriture des bestiaux, etc. En tisane elle est fébrifuge ; elle est aussi fort saine prise en décoction comme du thé.

Capillaire politrite à feuilles en ailes d'oiseau ; cette espèce peu commune en Europe est cependant une des meilleures.

Une grande sauge de très bonne espèce ; c'est une autre espèce de
serratula : elle est vulnéraire, sudorifique, hystérique. On l'emploie avec succès contre les douleurs de la goutte ; on peut la prendre en cataplasme, en décoction, en infusion, en bain, etc., selon les circonstances.

Sureau de Bourbon, c'est une espèce de sureau qui a toutes les propriétés de l'hièble : il forme un arbrisseau assez grand, il aime le voisinage de l'eau. Je ne crois pas que la fleur, que je n'ai pas vue, soit plus grande que celle de notre sureau ; piquée par un insecte, elle augmente considérablement de volume et se change en une espèce de gale aussi grosse qu'une noix. Ce sureau employé en topique est un excellent hydragogue. Il est bon contre l'hydropisie, contre la difficulté d'uriner, contre toutes les maladies où il s'agit de purger les humeurs. Sa seconde écorce passe pour être utile pour guérir les brûlures.

Bourrache d'Inde : elle a la feuille moins veloutée que la bourrache ; on la croit connue en Europe sous le nom d'herba domestica, celle dont la graine est un [lapsana].

J'ai parlé sur l'île de France du Fatack. Une espèce de liane ou de lierre terrestre dont les feuilles ressemblent à celles du solanum, dont j'ai déjà parlé plusieurs fois : il y a quelques épines à la tige mais non pas aux feuilles ; c'est, m'a-t-on dit, une espèce de mauve dont elle a les propriétés.

Un simple dont la feuille est très petite et la fleur violette [pourvue] d'une infinité de pétales, ou peut-être d'une infinité d'étamines sans pétales, ou plus vraisemblablement d'un grand nombre de fleurs extrêmement petites dont les pistils et les étamines se confondent avec les pétales : on m'a dit que c'était une menthe et qu'elle avait toutes les propriétés de notre mentha angussifolia spicata. (Vérifier si ce n'est pas cela que j'ai eu sous le nom de menta sativa cueillie le 6 ; dans ce cas, ce sera une espèce de serratula).

Un lychnis dont les feuilles, d'un vert foncé, sont longuettes et aiguës, naissant quatre à quatre, les unes dans les autres, à chaque branche, les plus longues enveloppant celles qui sont plus nouvellement écloses, ce qui fait que chaque petite branche ressemble à une mâche pour l'arrangement et la couleur des feuilles, mais non pas quant à la figure ; je n'ai point vu de fleurs.

Une espèce de lierre terrestre qui rampe lorsqu'il est jeune et se redresse ensuite : ses feuilles ressemblent à celles de la menthe et surtout à celles de cette espèce de menthe qu'on a coutume de nommer baume et qu'on mange en fourniture dans les salades. M. Aublet, qui avait passé quelques jours avant moi par l'île de Bourbon, avait décidé que c'était une espèce de mauve.

Le pavot épineux argemone, ses feuilles en effet le feraient prendre pour un chardon plutôt que pour un pavot ; sa fleur est jaune, cinq pétales, étamines sans nombre, pistil semblable à celui des autres pavots. On tire de sa graine une huile fort bonne pour appliquer sur le bois ; c'est la seule dont on se sert à Bourbon pour cet usage ; sa racine en décoction passe pour un fébrifuge.

Un gramen ou chiendent très fin, bon pour le pâturage ; un autre gramen, excellent pâturage, la graine naît au bout d'un long chalumeau extrêmement barbu, on le prendrait presque pour une chenille.

Palma-christi : cette plante est bien connue.

La raquette : on connaît pareillement celle-ci ; elle est très abondante à Bourbon ; comme les murs des enclos sont bas, pour empêcher qu'on ne les escalade, on les tapisse et on les couvre de raquette. En m'entretenant avec mes naturalistes de Bourbon, lesquels se donnent cependant plutôt comme amateurs de l'histoire naturelle que comme naturalistes décidés, nous nous demandions s'il serait impossible de transporter des cochenilles vivantes de l'Amérique jusqu'à l'île de Bourbon ; l'air y est assez chaud pour ces insectes, la sécheresse qui règne dans plusieurs cantons favoriserait leur multiplication, les raquettes de l'île leur fourniraient, apparemment, des sucs nourriciers aussi abondants que celles du Mexique, etc.

Nous n'avions rien à faire à Bourbon, il fallait s'entretenir et raisonner bien ou mal.

Une espèce de renouée ou santinodia ; fleurs blanches à deux pétales autant que je l'ai pu juger ; je ne sais cependant si ces deux pétales ne se réunissent pas en un au fond de la fleur. Un de ces deux pétales, en forme de raquette, a deux à trois lignes de longueur ; l'autre, de moitié plus petite, se recourbe en dedans pour couvrir et garantir en quelque sorte le pistil et les étamines. On extermine cette plante dans les pâturages, sans doute de peur qu'elle ne se multiplie trop : sa racine est hystérique et sudorifique ; ses feuilles pilées ont les propriétés que nous attribuons aux amandes douces.

L'herbe de l'Inde : les feuilles sont en petit nombre fort petites ; la tige qui doit porter les fleurs et les graines, s'élève fort haut, c'est-à-dire comme la tige du plantain et même plus haut. Les boutons à fleurs naissent le long de cette tige, ils sont rouges et font un bel effet ; la fleur, je pense, a quatre pétales ; je n'en ai pas vue de bien éclose. Les capsules qui contiennent la graine sont aussi grosses que les boutons à fleurs, et épineux par le haut : il faut, en conséquence, les ramasser de bas en haut et non pas de haut en bas, si l'on veut éviter d'être piqué. La racine est un bon fébrifuge, elle facilite les évacuations menstruelles des femmes.

Le petit baume blanc : c'est une plante aromatique, bien ressemblante au petit basilic ou c'en est une espèce ; cependant la graine m'en a paru différente.

Le grand baume rouge, autre plante aromatique, plus grand que tous les basilics que j'ai pu voir, mais ce n'est qu'un arbrisseau ; ce n'est donc pas du vrai baume du Pérou comme celui qui me le montrait dans son jardin voulait me le persuader. Selon lui, on trouve, sur les montagnes de Bourbon, trois espèces de baume, et le baume du Pérou est une de ces espèces : un de mes naturalistes m'a dit que le vrai nom de ce baume était celui que je lui ai donné en commençant cet article, c’est un vrai basilic.

Stramonium ou solanum furiosum : on connaît cette plante surtout dans les pays méridionaux de la France ; sa graine passe ici pour le plus puissant narcotique que l'on connaisse. Une cuisinière noire mit un jour de ses feuilles dans le pot en guise de légumes : tous ceux qui en mangèrent furent extrêmement incommodés ; on sauva cependant ceux que l'on entreprit à temps, d'autres en moururent. Il fut prouvé que la cuisinière n'avait point agi par distraction : elle fut pendue.

Une tithymale qui n'est pas caustique puisque les bestiaux en mangent sans s'incommoder.

La suncus odorans n'est pas inconnue en Europe : c'est réellement un jonc ; sa racine froissée a une très bonne odeur ; on n'en trouve qu'au bord des ruisseaux ; cette plante a toujours le pied dans l'eau ; sa racine est un puissant hystérique.

J'ai parlé sur l'île de France de l'acacia siamois.

Un simple, dont on n'a pas pu me dire le nom, a la fleur soutenue par cinq feuilles qui en forment le calice ; un seul pétale d'un bleu extrêmement clair a la figure d'un pentagone régulier, excepté que ses angles saillent un peu en dehors en pointes très aiguës et qu'au contraire il y a une légère échancrure au milieu de chaque côté. Ce pentagone est divisé régulièrement en 10 parties égales par ses rayons droits et obliques distinctement marqués ; près du coeur, cinq espèces de lignes d'un beau jaune et un peu larges forment un second pentagone ou plutôt, elles le formeraient si elles étaient un peu prolongées, car elles ne se touchent pas ; j'ai pris ces lignes pour les étamines ; au centre s'élève un cône qui est apparemment le pistil ; j'ai ouvert plusieurs de ces cônes, et je n'y ai pu rien distinguer, même avec le secours de la loupe. La fleur peut avoir cinq ou six lignes de diamètre ; n'est-ce pas un lignum convulvulus ?

Une autre plante dont pareillement on n'a pu me dire le nom, c'est la pervenche des Indes, quoiqu'elle soit extrêmement commune. Comme elle est en fleurs toute l'année, je l'avais d'abord désignée par le nom d'Aeïanthos ; quelqu'un m'a dit depuis qu'elle se nommait en effet fleur sans fin. On m'a dit qu'elle était originaire de la Chine ; si cela est, il faut qu'elle ait prodigieusement fructifié à Bourbon. On la trouve partout : c'est la mauvaise herbe du pays. Son odeur n'est pas suave ; elle est d'ailleurs fort gracieuse à la vue. Elle a cinq pétales d'un rouge, assez clair vers l'extrémité extérieure, mais qui se fonce beaucoup aux approches du coeur ; le coeur est un tuyau cylindrique, frangé à sa partie supérieure, et d'une belle couleur de pourpre. On n’en peut examiner le coeur qu'avec la loupe ; muni de ce secours j'ai cru trouver six étamines dans une fleur, mais dans toutes les autres je n'en ai trouvé que cinq ; outre le pistil, la fleur peut avoir dix-huit à vingt pouces de diamètre. La graine vient dans des siliques. J'ai vu plusieurs pieds de cette plante au Jardin du Roi, à Choisy.

Le jasmin de Bourbon a des feuilles plus grandes et moins aiguës que celles de notre jasmin ; il n'y a même aucun rapport entre ces deux plantes du côté de la feuille. Les fleurs se ressemblent beaucoup plus du côté de la couleur, de l'odeur et de la forme ; l'unique différence que j'y ai remarquée consiste en ce que l'unique pétale qui constitue l'extérieur de la fleur forme un entonnoir beaucoup plus long, que  cet entonnoir se divise en six sections et que ces sections sont plus courtes dans le jasmin de Bourbon que dans notre ordinaire de France.

La fleur de paradis est une liane qui croît promptement, qui devient fort haute et qu'on emploie conséquemment à la couverture des berceaux. Sa feuille est semblable à celle de l'asperge ; on m'a dit que la fleur était rouge, formée en étoile et très jolie. Cette plante ne paraît pas vivace : lorsque je l'ai vue, la principale tige était morte, il en  repousse d'autres du pied ; on n'a pu me dire si celles-ci sortaient de la racine de l'ancienne tige, ou si elles devaient leur naissance aux graines répandues par terre.

J'ai vu à Saint-Paul une caverne creusée sous une montagne par les mains de la nature ; elle peut avoir 40 pieds de long sur 20 de large et 4 à 5 de  haut ; l'entrée est précédée d'une espèce de pluie continuelle formée par l'eau qui tombe continuellement du haut de la montagne ; l'eau dégoutte aussi de plusieurs endroits de la voûte ; enfin l'entrée est comme défendue par des roches qui ont été détachées d'en haut. Tout contribue à entretenir une fraîcheur continuelle dans la caverne. Aussi est-elle tapissée, à droite et à gauche, en haut et en bas, d'une espèce de scolopendre ou capillaire qui est de la grandeur de la fougère ordinaire ; je n'y ai point vu de graines.

Il y avait aussi dans cette caverne une espèce de grande oseille : au moins ses feuilles, longues au moins de deux pieds, avaient la figure et le goût de l'oseille. La fleur était passée, la graine commençait à se former, mais il s'en fallait encore de beaucoup qu'elle fût mûre et en état d'être emportée.

Une espèce de luzerne que l'on m'a nommée médica : ses feuilles sont arrangées trois à trois à chaque petite branche comme dans le trèfle ; elles sont elliptiques, ayant 10 à 11 lignes de grand axe et 7 environ de petit ; je n'ai point vu de fleur ; la graine vient en siliques.

On fait certainement à Madagascar une espèce d’indigo qui n’a pas l’éclat de celui qui vient de l’Amérique, ce qui peut être attribué facilement au défaut de la manipulation. J’ai un échantillon de cet indigo, mais je n’ai point vu la plante qui le produit. Si cet indigo croît à Madagascar, pourquoi les îles de Bourbon et de France ne pourraient-elles pas le produire ? J’ai vu à Bourbon deux plantes, que l’on a décorées du nom d’indigo : on a donné à la première le nom de faux indigo, tout le monde convenait qu’elle ne méritait point l’épithète de vrai. Quelqu’un cependant m’a dit que si cette plante ne produisait pas le beau bleu que l’on tire de l’indigo, elle fournissait au moins la plus belle couleur jaune que l’on pût imaginer. Si cela est, ce que je ne garantis pas, cette plante ne serait pas à négliger. Elle ressemble d’ailleurs, dit-on, au véritable indigo. Je ne l’ai vue qu’un instant dans les premiers jours de mon séjour à Bourbon, et je ne l’ai pas examinée assez attentivement pour décider de cette ressemblance.

On m’a désigné la seconde plante sous le nom d’indigo bâtard ; on l’a semée, dit-on, à Bourbon comptant qu’elle était la véritable plante qui produit l’indigo, on s’est trompé, ajoute t-on, et cette plante dont on espérait beaucoup est presque devenue le fléau de l’île : en effet, on ne trouve presque aucune autre plante à la Possession et aux environs de Saint-Paul. Je l’ai examinée, je ne l’ai point vue en fleurs mais d’ailleurs je lui ai trouvé tous les caractères que l’Hortus Malabaricus donne à son ameri, tome I, planche 54. Je crois que cet ameri ne diffère point du véritable indigo. L’indigo bâtard de Bourbon ne forme qu’un assez petit arbrisseau mais il n’est point cultivé. S’il l’était, je ne doute point qu’il n’égalât au moins l’ameri de l’Hortus Malabaricus.

On m’a montré sur des murs une liane ou une espèce de lierre, qu’on m’a dit être un ipécacuana.

On m’a donné quelques branches d’un arbrisseau, qu’on croit être le vrai thé de la Chine : je les ai apportées en France et c’est une espèce de mauve appelée herbe à ballets en Amérique. Un autre amateur de l’histoire naturelle m’a aussi donné quelques graines de ce thé vrai prétendu.

Voilà ce que j’ai pu rassembler sur l’histoire naturelle des plantes de Bourbon. Il y a apparence que la saison des pluies, qui allait commencer lorsque j’ai quitté l’île, aura donné naissance à plusieurs plantes que je n’ai pu examiner ; il y a même tout lieu de croire que les quartiers de Saint-Benoît et de la rivière d’Abord, ainsi que les montagnes où je n’ai pas été, produisent des plantes différentes de celles que j’ai trouvées aux environs de Saint-Denis et de Saint-Paul. J’ai rapporté des graines de presque toutes les plantes dont j’ai parlé. Je n’ai pu en recueillir de celles qui n’en avaient point. J’ai donné ces graines au Jardin du Roi à Choisy, à M. Adanson, à quelques particuliers qui cultivent des plantes étrangères. J’ai désigné ces plantes par les noms sous lesquels mes naturalistes me les ont fait connaître ; ces naturalistes ou plutôt ces amateurs de l’histoire naturelle sont M. Préodet, capitaine des troupes de la Compagnie, M. de la Nux Conseiller au Conseil souverain, M. Nogent greffier du même Conseil, M. Ferry, etc.. C’est aussi sur leur autorité que j’ai attribué des vertus médicinales à quelques-unes de ces plantes. Quant à ce qui regarde la description des plantes, de leurs feuilles et de leurs fleurs, je l’ai faite sur l’inspection même des pièces. MM. Nogent et Ferry m’avaient aussi donné quelques graines de Madagascar, avec promesse de m’en envoyer en plus grande quantité. C’est aussi de ces mêmes messieurs que je tiens une composition de la drogue amère de Pondichéry dont les Jésuites se sont toujours conservé une connaissance exclusive. Quelqu’un cependant a prétendu leur avoir volé leur secret et en a donné la recette à M.M. Nogent et Ferry. La voici telle que je l’ai reçue d’eux :

 

Recette de la drogue amère de Pondichéry

Une bouteille d’eau de vie de cognac

4 gros [15] d’aloès

4 gros de gentiane

4 gros de racine de serpentaire de Virginie ayant l’odeur de térébenthine

2 gros d’encens en larmes

24 grains de safran oriental

1 gros de mastic en larmes

1 gros d’écorce d’orange sèche.

Concassez séparément toutes ces drogues, et les mêlez ; vous les mettrez ensuite dans la bouteille d’eau de vie ; il faut observer que la bouteille ne soit point pleine, elle doit laisser en haut environ 4 doigts de vide ; bouchez-la légèrement et exposez-la au soleil durant 10 ou 15 jours en observant de la remuer deux ou trois fois par jour. Versez-la ensuite en l’inclinant, sans la passer. La dose est de deux cuillerées pour une grande personne ; pour les enfants, à proportion. Ce remède est bon contre les coliques et la dysenterie. On l’imbibe aussi dans du coton contre les maux d’oreilles. Cette drogue est réellement très estimée dans les Indes. Lorsque nous en prenions sur le d’Argenson, nous la mêlions dans un grand demi-verre de vin blanc.

Ces mêmes messieurs m’ont aussi donné une recette de pilules dont voici la copie :

 

Pilules purgatives du Fr. Basin, jésuite du l’Andercha

Une once d’aloès succotrin

une once [16] de bonne rhubarbe

demie-once de myrhe

24 grains de safran oriental.

Pilez le tout séparément et tamisez. Faites une masse de cette poudre avec de bon vin blanc ou du sirop de roses en assez grande quantité pour faire une masse du total.

 

On trouve à Bourbon à peu près les mêmes animaux que sur l’île de France, excepté qu’il n’y a point de singes et il est expressément défendu d’y en laisser entrer des vaisseaux. D’un autre côté, le gibier est devenu rare : les Créoles, trop passionnément adonnés à la chasse, l’ont presque entièrement détruit.

La mer sans doute y est très poissonneuse mais on en profite peu. La raison en est apparemment que la navigation en pirogues et en canots y est beaucoup moins sûre qu’à l’Ile de France et à Rodrigue. Je n’ai mangé que d’un seul poisson qu’on nommait le poisson rouge parce que réellement ses écailles et sa peau sont de cette couleur, mais la chair en est blanche. Ce poisson est délicat ; il en est parlé dans plusieurs relations de voyage, et nommément dans celle de l’Amérique du Père Labat, tome VI. Les rivières ou les ruisseaux nourrissent des cabots, des carpes, des anguilles, des mulets, etc. Mais ces poissons ne sont pas fort communs sans doute par une raison semblable à celle qui a occasionné la rareté du gibier.

La mer est également abondante en coquillages, madrépores, en beaux lithophytes, etc.

Le galet à Saint-Denis est en partie de silex, et en partie d’astroïtes ou d’autres madrépores arrondis par le roulement. On y trouve aussi des coquilles d’oursins. J’y ai ramassé un os de cheval qui commençait déjà à se madréporiser.

La grève de Saint-Paul m’avait procuré des cornes d’ammon extrêmement petites et délicates, qui n’ont pu se conserver, malgré l’attention que j’y ai apportée, et des galères, telles que je les ai décrites ci-dessus sur le 21 d’avril. M. de la Nux m’avait fait présent d’un beau lithophyte que ses gens venaient de pêcher par soixante brasses de fond : il était alors couvert de chair, son pied était couvert de lithophytes naissants, de coquillages, de mille productions extrêmement variées pour les couleurs. J’ai beaucoup regretté ce lithophyte qui a été perdu vers les Açores dans le temps de la prise du Boutin par les Anglais.

L’île de Bourbon n’est pas seulement fertile en grains et en fruits ; elle abonde pareillement en bestiaux et en volaille. Aussi, c’est à Bourbon que les vaisseaux qui reviennent en France vont faire leurs provisions. Tout ce que produit l’île s’y vendait encore à un prix assez raisonnable ; ceux qui nous avaient précédés avaient même été taxés à un prix plus modéré. Il est vrai qu’on ne voulait pas de nos billets ; il fallait payer en argent effectif. Le vin et les étoffes même les plus communes étaient hors de prix. On soupçonnait 4 ou 5 richards d’entretenir cette cherté par le monopole qu’ils exerçaient ; mais indépendamment de cette cause, les denrées européennes ne pouvaient point être à bon marché dans cette île ; la raison en était évidente. Tous les vaisseaux qui vont à Bourbon ont passé par l’île de France ; le conseil de l’île de France retenait presque tout ce qui était envoyé par la Compagnie. On n’en faisait passer à Bourbon que le moins qu'il était possible ; les prêtres mêmes étaient obligés de faire du sangorin leur boisson ordinaire ; le gouvernement de Bourbon était hors d'état de leur fournir la provision annuelle de vin dont on était convenu avec eux. Si quelque particulier apportait du vin dans l'île pour son compte, il avait pu le vendre à l'île de France à un prix très haut ; pourrait-il le céder à Bourbon à un prix médiocre ?

Les habitants de Bourbon y sont nés pour la plupart, et ils comptent y mourir. Ils regardent Bourbon comme leur véritable patrie, en conséquence ils sont affectionnés à leur île. Le luxe n'a point pénétré chez eux, la simplicité des moeurs de nos ancêtres semble faire leur caractère distinctif. Une vie tranquille, une subsistance honnête, l'éducation de leur famille, l'acquit des engagements qu'ils ont contractés avec la Compagnie, voilà le plus haut terme de leurs désirs. Ils sont ordinairement accomplis parce qu'ils sont réglés sur la modération et l'équité. Ce caractère n'est pas particulier aux Créoles ; les Français habitués à Bourbon le contractent aisément ; on le reconnaît même dans plusieurs des principaux de l'île.

Les lois de Bourbon sont au moins aussi sages que celles de l'île de France ; elles sont d'ailleurs beaucoup plus fidèlement observées. Les colons, en recevant de la Compagnie des terres et des facilités de les cultiver, ont contracté avec elle des engagements qu'ils remplissent fidèlement. Il est vrai cependant que, lorsque j'ai passé par cette île, les habitants prétendaient que la Compagnie s'était réciproquement engagée à leur fournir à un prix modéré du vin et des vêtements, ils ajoutaient que si on continuait de les négliger, comme il semblait qu'on le faisait alors, ils se tiendraient pareillement quittes de leurs engagements, et que nommément, ils abandonneraient toutes les plantations de café comme leur étant absolument inutiles. Ils méritaient, disaient-ils, les attentions de la Compagnie pour le moins autant que les colons de l'île de France. Ce principe était vrai, mais on pouvait répondre que ce n'était pas la Compagnie qui les négligeait, que c'était l'île de France qui retenait et absorbait ce que la Compagnie envoyait pour les deux îles.

La culture du café est le principal engagement des habitants et la Compagnie le reçoit dans ses magasins, sur le pied de quatre piastres la balle. Je crois que la récolte va par an, jusqu'à vingt-cinq ou trente mille balles au moins. J’ai dit que la balle pesait 105 livres ; cependant on ne recevait point le café d'un habitant, s'il n'était pas en même temps porteur d'une attestation par laquelle il apparaisse qu'il a fidèlement observé les lois de la police de l'île. Selon ces lois, chaque colon est obligé d'apporter tous les ans au gouvernement, pour chaque tête d'esclave qu'il possède, cinquante livres pesant de sauterelles, cent queues de rats et cent têtes de petits oiseaux qui nuisent beaucoup aux grains et surtout au blé. Ces lois sont sages ; les colons conçoivent qu'elles n'ont été établies que pour leur utilité ; non seulement, ils les observent scrupuleusement, ils doublent, ils triplent même, s'ils le peuvent, la taxe imposée.

Selon une autre loi, celui qui ramène un marron en devient le possesseur, ou on lui donne un autre Noir de la Compagnie, ou enfin on lui compte 300 livres de récompense selon son choix : aussi le nombre des marrons est-il très petit à Bourbon. D'ailleurs les Créoles, plus habiles que les chèvres à escalader les montagnes, font une bonne guerre aux marrons. Ils leur font la chasse à peu près comme on le ferait à des bêtes féroces ; cependant, comme ils désireraient les avoir vivants, il arrive quelquefois que les fugitifs poursuivis, rencontrant un précipice qui les empêche de passer outre, attendent les Créoles en jouant, dansant et chantant, et, quand ils sont sur le point d'être atteints, ils se jettent la tête la première dans le précipice. Une dernière raison qui rend ici les marrons plus rares qu'à l'île de France est qu'on ne fait pas manger de paille aux esclaves, ils sont mieux avec leurs maîtres que dans les forêts. Il s'en échappe cependant quelques-uns de temps en temps ; le nom de la liberté plaît partout.

Entre le 14 et le 17 novembre 1761, j'ai fait au presbytère de Saint-Paul, plusieurs observations sur la variation de l'aiguille aimantée, et j'ai trouvé qu'elle déclinait de 16° 45' du nord à l'ouest.

Suite du journal

 

Etant arrivés le 18 d'octobre à Bourbon de la manière que je l'ai dit ci-dessus, nous avons été saluer M. de Lozier Bouvet, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, gouverneur de l’île pour le roi. Je ne parlerai point des lumières étendues de cet officier sur la théorie et la pratique de la navigation, de la sagesse de son gouvernement, de l'égalité constante de son caractère, de sa candeur, de son affabilité parce que, comme je l'ai déjà dit, ce n'est point un panégyrique que j'ai prétendu entreprendre. C'est ce même M. Bouvet qui commandait en 1738 et 1739 l'expédition faite par ordre de la compagnie pour la découverte des Terres Australes, et c'était lui qui, en 1735, avait donné l'idée de cette expédition. Elle se borna à la découverte du Cap de la Circoncision, ainsi nommé parce qu'il fut découvert le premier de janvier 1739. La brume presque continuelle qui empêchait les vaisseaux de se voir et les glaces dont on était environné empêchèrent de pousser plus loin les découvertes. Mais, comme M. Bouvet le remarque avec raison, les glaces dénotaient le voisinage d'une grande terre ; il est probable qu'elles ne s'étaient ainsi accumulées que parce que la brume n'avait pas permis aux rayons du soleil de les pénétrer. Toutes les années ne sont pas sans doute également brumeuses et, ce qui n'a pu s'effectuer en 1739 n'aurait peut-être souffert aucune difficulté dans quelqu'une des années suivantes. M. Bouvet m'a parlé de cette expédition en de tels termes que je ne doute presque pas qu'il consentît avec zèle à en entreprendre une pareille avec une pleine confiance d'un succès plus heureux [17] . Bouvet a été successivement, capitaine des vaisseaux, Gouverneur de l'île de France et Gouverneur de Bourbon, et il n'est pas riche ; c'est qu'il a toujours été zélé pour le bien, vertueux et désintéressé. Il serait à souhaiter que la Compagnie eût beaucoup d'officiers de cette trempe.

Aussitôt notre arrivée, M. Bouvet donna des ordres pour nous loger au gouvernement. Je fus aussi rendre visite à M. Teste qui voulait pareillement nous loger. Le même jour notre navire avait remis à la voile vers 9 heures du soir ; il mouilla le lendemain dans la rade de Saint-Paul à huit heures et demie du matin, par 16 brasses d'eau, fond de sable fin noir et vaseux. Trois navires de la Compagnie étaient déjà dans cette rade : l'Adour, le Villevault et le Numéro 4. Les deux premiers étaient destinés pour la France et devaient faire leurs provisions à Saint-Paul, le troisième était une des prises que M. le Comte d'Estain avait faites dans son expédition et qu'il avait distinguées par différents numéros.

Le 19, les corvettes, la Bonneaventure et le Volant, mouillèrent à Saint-Denis. La journée s'est passée à rendre des visites et à parcourir la plaine. Les maisons sont mieux bâties et les jardins mieux entretenus qu'à l'île de France.

Le 21, nous avons été dîner à Sainte-Marie et coucher à Sainte-Suzanne, d'où nous sommes revenus le 22 au soir.

Je ne comptais passer que deux ou trois jours à Saint-Denis ; sur les instances engageantes de M. Bouvet, je me suis déterminé à y rester plus longtemps. Cependant M. Thuillier est parti le 23 au soir sur le Volant, pour aller arranger nos affaires à Saint-Paul. Cette corvette devait aller chercher notre cargaison à la rivière d'Abord.

Le 25, le vaisseau, l'Adour a appareillé à Saint-Paul pour se rendre en France.

Le 28, le navire le Saint-Priest a mouillé à la rade de Saint-Denis ; il est aussi destiné pour la France.

Cela faisait en tout cinq vaisseaux qui avaient la même destination : le Boulogne qui était parti avant notre arrivée, l'Adour, le Villevault, le Boutin et le Saint-Priest. Des cinq, l'Adour seul est arrivé à bon port, les quatre autres ont eu le malheur de tomber entre les mains des Anglais.  

 

Le 1er de novembre, le Saint-Priest a appareillé pour aller à Saint-Paul.

Le 5, le vaisseau, le Villevault, a appareillé de Saint-Paul pour se rendre en France.

Le 6, on a fait une partie de pêche : elle n'a pas été heureuse, mais j'ai profité de l'occasion pour visiter la vallée où coule la rivière de Saint-Denis. C'est encore un de ces endroits que l'on pourrait dire être affreusement beau. Cette vallée, avant que la rivière, divisée en quatre bras, se perde dans les galets qui la séparent de la mer, peut avoir 70 à 80 toises de large. Elle est d'abord bordée de petites falaises de 20 à 25 pieds de haut ; sur la rive droite, en remontant la rivière, la falaise se joint bientôt à la montagne ; sur la gauche, sa hauteur s'augmente par degrés ; à un quart de lieue de Saint-Denis, elle devient montagne, et la vallée ressemble à un précipice, bordée de part et d'autre par des roches taillées à pic de 60 à 80 toises de hauteur ; je ne crois pas qu'elles puissent en avoir moins. Vers midi, une de ces roches donnait en bas 25 à 30 pieds d'ombre, et le soleil n'était pas éloigné de 5 degrés de notre zénith. Encore la position de la roche n'était-elle pas la plus favorable pour donner le plus d'ombre qu'il était possible, elle n'était pas entièrement à pic et la vallée ne s'étendait pas de l'est à l'ouest, mais du nord-est au sud-ouest. Ce précipice peut avoir d'abord 100 toises de large ; il se rétrécit ensuite en remontant la rivière et bientôt, il se réduit à 40 toises et ensuite à 20 ou 25. Les roches sont pour l'ordinaire absolument nues, de couleur gris de fer, et paraissent assez homogènes. A un endroit de la rivière s'est creusée une caverne sous la montagne ; l'eau peut y avoir 15 pieds de profondeur ; on n'a osé y pêcher. Sur la rive gauche, je prends toujours la rivière en remontant ; elle reçoit un ruisseau qui roule par cascades du haut de la montagne : la chute est plus haute que celle des cascades de l'île de France, mais il y a moins d'eau, et plusieurs jets. Au-delà de cette cascade, il y en a plusieurs petites et moins hautes ; elles ne tombent pas du haut de la montagne, mais comme la roche n'est point à pic et qu'elle est couverte de plantes et d'arbrisseaux, je n'ai pu juger si ces petites cascades sourdaient de la montagne ou si elles étaient des échappes de la cascade principale. A deux lieues environ de Saint-Denis, la rivière forme elle-même une belle cascade en se précipitant des montagnes, mais nous n'avons pas été jusque là. M. Préodet qui y a été m'a dit qu'aux approches de cette cascade, les roches s'approchaient et se touchaient presque par le haut, de manière que dans les grandes eaux, si une partie de roche venait à se détacher, elle tombait sur la roche opposée, dont par son poids elle détachait pareillement quelque partie, et que le tout repoussé alternativement de roche en roche faisait un fracas terrible et effrayant. Le lit de la rivière au bas n'est souvent bordé que de pierres ou d'une espèce de galet dont j'ai parlé plus haut. Ailleurs, il y a des plantes, des arbrisseaux et même des petits bosquets.

Le 8, M. de Ligeac, capitaine d'Artillerie au service de la Compagnie, et un de nos passagers du Boutin, est arrivé de Saint-Paul.

Le 10, nous sommes partis de Saint-Denis, M. de Ligeac et moi. J'ai fait plus haut la description du chemin ; nous avons dîné à la Possession, et nous sommes arrivés heureusement à Saint-Paul. M. Bouvet avait donné des ordres pour me loger et m'entretenir au gouvernement. Je suis cependant descendu chez les prêtres, où M. Thuillier logeait déjà et j'y ai été très bien reçu par M. Monnet, curé, et par M. Féron, vicaire de la paroisse, tous deux de la Congrégation de la Mission.

Les jours suivants se sont passés à rendre des visites, à en recevoir, à faire embarquer mes graines, mes pierres, mes coquilles, mes madrépores, à visiter les environs de Saint-Paul, etc.

Le 14, le Saint-Priest a mouillé en rade de Saint-Paul, après avoir fait sa provision de café à la rivière d'Abord.

Le 15, le Saint-Louis est arrivé de l'île de France, et nous a apporté des nouvelles de l'île Rodrigue où on avait découvert une escadre anglaise. Voici l'histoire de cette escadre, telle que je l'ai sue alors, et telle que je l'ai vue depuis, plus détaillée dans plusieurs lettres, et principalement dans une que M. de la Nux m'a écrite en date du 1er février 1762 : cette escadre était arrivée à Rodrigue le 15 septembre 1761, sept jours après notre départ. Elle était composée de onze vaisseaux de guerre et de quatre frégates. Elle croisait en tout ou en partie aux environs de Rodrigue, sans s'écarter de cette île où il y avait apparence qu'elle attendait du renfort pour faire le siège de l'île de France. Elle pouvait aussi très facilement avoir eu l'avis de l'expédition des cinq vaisseaux que M. des Forges avait envoyés à Batavia, et se tenir aux aguets pour les surprendre à leur retour. J'ai dit, ci-dessus, que le Fortuné commandé par M. de Surville et la Sylphide, capitaine M. Roche, étaient partis de conserve le 26 septembre de l'île de France pour une expédition secrète. Ces deux navires furent reconnaître Rodrigue, mais la Sylphide souffrant beaucoup d'une voie d'eau, s'était séparée du Fortuné ; elle s'imagina l'avoir rencontré pendant la nuit : ce n'était pas lui, c'était un vaisseau de l'escadre anglaise. On était tellement persuadé que c'était le Fortuné que l'on cria dans le porte-voix : “Bonsoir M. de Surville”. Le navire anglais avait à son bord M. de Puvigné commandant de Rodrigue. On le força de répondre ; il le fit mais il sut si bien affecter l'accent anglais qu'il détrompa M. Roche ; il lui fit connaître sa méprise et lui donna habilement le conseil d'arrivera le plus promptement qu'il lui serait possible. A bon entendeur demi-mot suffisait, M. de Roche profita de l'avis et arriva ; le canon ennemi perça ses voiles et ne lui fit pas d'autres dommages. Le jour découvrit d'autres vaisseaux qui ne furent que spectateurs du courage et de l'habileté de monsieur Roche. La Sylphide n'était plus en état de tenir la mer ; son capitaine la reconduisit à l'île de France pour informer le gouvernement de ce qui se passait à Rodrigue.

J'ai dit quelque part que la Compagnie a de bien méchants enfants ; elle en a aussi qui lui font honneur : outre M. Roche, M. de Surville est de ce nombre. Celui-ci avait découvert l'escadre anglaise ; les tentes des ennemis éparses sur Rodrigue ne lui permettent point de douter du danger qui menace les navires français ; sans révoquer en doute l'intrépidité et la sagesse de M. Roche, il est convaincu que son consort a été obligé de succomber sous le nombre, ou même que la Compagnie a perdu un de ses meilleurs officiers. Il est à propos qu'on soit informé à l'île de France de ce qui se passe à Rodrigue. Il n'est pas moins essentiel que l'escadre envoyée à Batavia soit avertie du péril qu'elle courrait en reconnaissant cette île. Rien n'est impossible à un officier qui a gagné le coeur et l'estime de ses subalternes. M. de Surville assemble son conseil ; il représente avec une égale force l'importance des deux avis dûs, et au conseil de l'île de France, et à l'escadre de Batavia. Le parti qu'il propose n'est pas seulement agréé de tout le conseil, il se trouve même un officier (et il s'en serait sans doute trouvé plusieurs) qui consent à s'exposer à la mer avec quelques matelots, dans une simple chaloupe, à pénétrer l'escadre anglaise, à traverser cent vingt lieues de mer pour venir informer M. des Forges de l'état des affaires de Rodrigue. Cependant, M. de Surville ayant perdu sa chaloupe de [     ] va au devant des vaisseaux qui reviennent de Batavia. Il leur donne des avis convenables et ces vaisseaux reviennent heureusement à l'île de France, chargés d'un million huit cent mille livres de riz, de vin, de sucre, d'arack, de 50 000 piastres en différentes espèces, de mille autres besoins.

L'escadre anglaise continuait de croiser inutilement à Rodrigue ; il ne lui arrivait aucun renfort d'Europe. Les maladies commencèrent enfin à la détruire : de 4 030 hommes d'équipage dont elle était montée en arrivant à Rodrigue, elle en avait déjà perdu quinze à dix-huit cents. Elle a enfin pris le parti d'appareiller le 25 décembre et d'abandonner Rodrigue manquant de vivres et sans nous avoir pris seulement une seule de nos chaloupes. Quelques-uns de ses vaisseaux ont été achever de se consumer à Madagascar dans la plus mauvaise saison de l'année. Une frégate portugaise, envoyée de Goa à l'île de France, au commencement de 1762, a rapporté que les Anglais avaient perdu trois vaisseaux de guerre dont deux allaient porter du secours dans le Gange à Golgotha qui était vivement assiégé par les Indiens. Ils étaient montés de mille hommes d'équipage, outre 500 soldats du régiment de Cook. L'un avait péri par le feu, l'autre avait viré dans le fleuve, un troisième s'était perdu à Goa, mais l'équipage s'était sauvé. Je ne crois pas que ces trois navires fissent partie de l'escadre de Rodrigue mais c'était sans doute de cette escadre que s'étaient échappés deux vaisseaux anglais que M. de Surville rencontra quelques temps après aux environs du Cap de Bonne-Espérance. Son courage lui dictait de les attaquer ; après une mûre délibération, il fut décidé dans le conseil qu'un seul vaisseau n'en pouvait attaquer deux de même force sans quelque témérité.

M. de Surville s'est presque voulu mal de n'avoir pas écouté la voix de son courage, lorsque, se trouvant quelques jours après au Cap avec ces deux vaisseaux, il apprit que sur les deux bords il n'y avait pas en tout cinquante hommes en état de manoeuvrer.

Je me suis trop attaché à M. de Puvigné pour ne pas le rejoindre encore à l'île Rodrigue. Les Anglais, en partant le 25 décembre, l'avaient remis sur l'île. Sur l'avis donné par la Sylphide et par la chaloupe du Fortuné, M. des Forges, résolu de débusquer les Anglais de Rodrigue, envoya la Frégate la Fidèle examiner ce qui se passait aux environs de cette île. La Fidèle, ayant trouvé la place abandonnée, y mouilla vers la fin de décembre, prit à son bord M. et Mme de Puvigné et tout ce qui pouvait y rester de français et aborda heureusement à l'île de France dans les premiers jours de 1762.

 

Je reviens à mon journal.

Le 17 de novembre, la corvette de Saint-Louis est repartie pour Madagascar. C'était le lieu de sa destination. Elle devait donner avis aux vaisseaux français, mouillés dans les ports de cette île, du danger qu'il y avait à reconnaître Rodrigue en retournant à l'île de France.

Le 18, il est arrivé une autre corvette de l'île de France. Les officiers et soldats de marine et les matelots étaient avertis de se tenir prêts, parce que l'on ne devait point tarder à les venir prendre pour déloger les Anglais de l'île Rodrigue.

Le même jour, nous nous sommes embarqués vers six heures du matin. Notre compagnie était moins nombreuse que sur le  d'Argenson ; en cela même elle était peut-être meilleure. Nous devions être conduits par M. M de Meyrac, capitaine, Le Brun, de Becdelièvre et Soleil, lieutenants, tous d'une très bonne société, ainsi que M. l'abbé Jarnier, aumônier, M. Voye, écrivain, et M. Vergoin chirurgien major. Les passagers étaient : M. le Chevalier de Ruis, capitaine des vaisseaux de sa Majesté, Chevalier de l'Ordre de Saint-Louis, officier généralement estimé pour sa bravoure dont il porte de tristes mais glorieuses marques, d'un esprit juste, fin et orné de mille connaissances et avec cela d'une conscience timorée et presque scrupuleuse ; M. de la Bretonnière, capitaine des vaisseaux de la Compagnie, homme d'esprit et d'un excellent caractère ; M. de Longchamp, capitaine des troupes de terre de la Compagnie et maintenant chevalier de Saint-Louis ; M. de Ligeac, capitaine d'Artillerie ; M. de Crémont [18] , écrivain des vaisseaux du roi ; M. Bidars, qui avait eu l'intendance des magasins de la Compagnie à l'île de Sainte-Marie près de Madagascar ; M. de Vauversis, lieutenant des vaisseaux de la Compagnie encore un peu jeune de moeurs mais d'ailleurs d'une société aimable ; M. de Longchamp, M. de Ligeac, M. Bidars, M. Thuillier et moi. Il n'en était pas un seul de cette compagnie qui n'eût mérite. On se voyait avec plaisir, on s'entretenait sans s'ennuyer, on jouait quelquefois sans se ruiner, la gaîté n'allait point ordinairement jusqu'à la folie, la discorde ne troublait point la société. Tout aurait été bien s'il n’y avait pas eu d'enfants. Ceux-ci ne servaient qu’à me distraire dans mes calculs et à interrompre, durant le jour, le sommeil des officiers qui avaient veillé durant la nuit.

Le 19, nous sommes restés en rade, attendant le Volant qui devait nous apporter le reste de notre cargaison de café. Trouvant le vent contraire pour venir de la rivière d'Abord à Saint-Paul, il avait pris le parti de faire le tour de l'île et n'y avait employé qu'un jour et demi. A Saint-Denis on lui avait tiré trois coup de canons à boulet, il y avait répondu en donnant les signaux de reconnaissance et avait poursuivi sa route sans s'arrêter. Mais à la vue de Saint-Paul, il a retrouvé le vent contraire. A la nuit, on lui a fait des feux pour le guider ; il a enfin mouillé heureusement près de nous.

Le 20, nous avons chargé le reste de notre cargaison qui consiste en cinq mille quarante-neuf balles de café et en quatorze milliers de poivre. A dix heures et demie du soir, le vent étant à l'ENE, nous avons viré, et, à onze heures, nous étions sous voiles pour retourner en France.

Cinglant du NO et au NO 1/4 N, et à minuit étant N et S de la pointe de Saint-Gilles, nous avons mis en travers pour embarquer nos bateaux.

 

 

 


[1] Guy le Gentil de la Barbinais, Nouveau Voyage autour du monde  ; il y raconte son séjour de cinq mois à l’île Bourbon en 1717.

 

[2] Un recensement fait en 1761, ainsi que des indications laissées par le R.P. Caulier en 1764, estimant la population à 22 300 personnes dont 4 394 Blancs et 17 906 Noirs.

 

[3] Ces estimations sont inexactes, puisque l’île n’est longue que d’environ 55 km. et large de 75 km.

 

[4] Jean-Baptiste Charles Bouvet de Lozier (1706-1788), marin de la Compagnie et explorateur des terres australes. Il se distingua comme capitaine du Lys sur la côte de Coromandel. Il occupa à plusieurs reprises le poste de gouverneur de Bourbon (octobre 1750 - décembre 1752, puis janvier 1756 - juillet 1757, enfin octobre 1757 - septembre 1763), assurant même de la fin 1753 à décembre 1755 la charge de gouverneur des deux îles. Il fut l’un des rares gouverneurs à considérer Bourbon autrement que comme une dépendance de l’île de France. Afin d’assurer le développement de l’île, il préconisa dans divers mémoires l’autonomie administrative commerciale face à sa voisine. Il encouragea l’instruction publique (création d’un collège à Saint-Denis en 1759) et le commerce (projet de création d’un port à Saint-Pierre et extension du réseau routier).

Il fut le père du futur amiral Pierre Bouvet (1775-1860).

 

[5] Il pourrait s’agir en réalité de l'ouragan du 26 et 27 mars 1752, à l'origine de dévastations de cultures et de la destruction des installations portuaires conçues par Labourdonnais.

 

[6] Ce personnage a déjà été évoqué lors du voyage vers l’île de France. Voir la note qui s’y rapporte.

 

[7] La toise équivaut à 2 mètres. Ces données sont fausses puisque le plus haut sommet de l'île Le Piton des Neiges, n'atteint que 3069 m.

 

[8] Orthographe moderne : Plaine des Cafres.

 

[9] Jacob de la Haye a été désigné comme chef d’escadre par Colbert le 3 décembre 1669 avec le titre de lieutenant général pour le roi dans l’île Dauphine [Madagascar] et dans toutes les Indes. Il arriva à Bourbon en 1671.

 

[10] Le gouverneur Desforges Boucher fit construire un château au lieu-dit “Le Gol” à proximité de l’actuelle localité de Saint-Louis.

 

[11] L'abbé Joseph Teste débarqua le 5 août 1723 à la Réunion. Curé de Ste Suzanne, il fut à l’origine de nombreuses édifications d’églises et devint préfet apostolique de l’île où il mourut le 24 juin 1772.

 

[12] Cette explication fantaisiste s’inscrit ddans la mythologie développée autour du volcan par les voyageurs depuis le XVIIIème siècle.

 

[13] Hypothèse évidemment fantaisiste : les chutes de neige sont rarissimes même sur les plus hauts sommets de l’île.

 

[14] La Compagnie des Indes avait pour habitude d'établir des jardins dans ses concessions ; c'est ainsi qu'un premier jardin fut créé à Bourbon dans le quartier de la Rivière St Denis, au pied du rempart occidental ; il était situé à la hauteur des actuelles rues Sainte-Anne, Pasteur et de la Compagnie. Le jardin fut transféré à son emplacement actuel à une date non déterminée.

 

a Un carri est un ragoût indien où le poivre, le safran et les épices ne sont pas ménagés. Ce ragoût est fort en vogue sur plusieurs vaisseaux de la compagnie ; on fait des carris de viande ou de poisson.

[15] . 1 gros équivaut à environ 4 grammes.

[16] . 1 once : 32 grammes.

[17] En effet, en juillet 1738, Bouvet de Lozier quitta l’Orient avec l’Aigle et la Marie et descendit dans l’Atlantique sud pour y reconnaître une terre, qu’il baptisa l’île de la Circoncision en raison de la date de découverte, le 1er janvier 1740. Il la prit pour une avancée du mythique continent alors qu’il s’agissait de la minuscule île qui porte aujourd’hui son nom.

a J'ai déjà dit qu'arriver, c'était se mettre [    ] plus en arrière pour [     ]

 

[18] Honoré de Crémont (1731-1800 ?), servit dans l’escadre du comte d’Aché au cours de la campagne des Indes comme écrivain du roi puis devint en 1766 commissaire de la marine à l’île de France et premier conseiller aux conseils supérieurs des îles de France et Bourbon. Mais la partie la plus importante de sa carrière se situe après la période de la Compagnie des Indes : avec la “royalisation” des îles, effective seulement en 1767, l’administration était confiée conjointement à un gouverneur lieutenant général et à un intendant, représentés à Bourbon respectivement par un commandant particulier et par un commissaire ordonnateur. Dans ce dernier poste, Crémont représentant de Poivre, joua un rôle très important dans le développement de la colonie : travaux de voirie, d’adduction d’eau, d’assainissement, développement agricole, réorganisation du schéma urbain de Saint-Denis. Il fut l’hôte de Bernardin de Saint-Pierre au cours du séjour de celui-ci à Bourbon et resta son ami jusqu’à la fin de sa vie.

 

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