© - Sophie Hoarau et Marie-Paule Janiçon - Edition critique du Voyage à Rodrigue (1761-1762) d'Alexandre-Louis Pingré - Mémoire de Maîtrise 1992 sous la direction du Professeur J.M. Racault.
QUATRIEME PARTIE
L'Ile Bourbon
DESCRIPTION DE L'ILE DE BOURBON.
Les Portugais
prirent possession de cette île, en 1545, sous le règne de Jean IV et
lui donnèrent le nom de Mascarenhas.
Alonse Goubert la trouvant déserte en 1638 y arbora les armes de France.
En 1653, Monsieur de Flacour
aborda au lieu nommé la Possession,
posa les armes de France et
une inscription sur le monument où il avait trouvé celles de Portugal
placées cent huit ans auparavant ; il changea enfin le nom de l'île
et lui donna celui de Bourbon,
qu'elle porte aujourd'hui. En 1665, deux vaisseaux français
y trouvèrent deux de leurs compatriotes qui s'y étaient établis depuis
trois ans. Ils n'étaient point les seuls habitants de l'île : dix autres,
dont sept hommes et trois femmes, y étaient passés avec eux, de Madagascar. Mais s'étant révoltés contre les Français, ils s'étaient
retirés dans les lieux de l'île les plus inaccessibles ; il fut impossible
de les retrouver ; on laissa sur l'île vingt-deux nouveaux habitants.
En 1671, on y en trouva cinquante, divisés en quatre habitations, de
St-Denis, de Ste-Marie, de Ste Suzanne
et de St Paul.
En 1717 La Barbinais
[1]
témoigne qu'il y avait 900 personnes libres et 1 100 esclaves.
On y compte à présent environ 20 000 âmes
[2]
, dont 4 à 5 000 Blancs, les autres Noirs. L'île de Bourbon est presque ronde et s'étend entre 20 degrés 51 minutes et
demie et 21 degrés 40 ou 45 minutes de latitude australe et entre 72
degrés 44 minutes et 73 degrés 37 minutes de longitude. Elle aurait
donc environ 25 lieues parisiennes de longueur du nord au sud et
23 lieues et demie de largeur de l'est à l'ouest, mais cette étendue
n'est pas, à beaucoup près, aussi certaine que celle que j'ai donnée
ci-dessus aux îles de France
et de Rodrigue
[3]
. Il est au moins certain que cette île est la plus étendue
des trois îles françaises qui sont à l'est de celle de Madagascar.
Cette île n'a point de port
: on relâche ordinairement dans deux rades. Celle de St-Denis est à couvert
du vent de sud-est par l'île elle-même, mais le vent d'est n'y laisse
point les vaisseaux en sûreté ; on ne s'y arrête ordinairement qu'autant
qu'il est nécessaire pour remettre les paquets au Gouverneur et pour
recevoir ses ordres si le cas y échet. J'ai parlé ci-dessus de la manière
dont les vaisseaux peuvent y aborder : la mer est bornée par une digue
qu'elle s'est formée à elle-même par une espèce de coteau de galet dont
la hauteur surpasse celle à laquelle la mer peut monter dans les plus
hautes marées. Ce galet met obstacle à la décharge d'une rivière ou
plutôt d'un ruisseau qui arrose la vallée voisine ; l'eau se perd dans
le galet même et, filtrant à travers, elle se rend à la mer par des
conduits souterrains. Je ne doute point que ce galet n'ait été ainsi
accumulé par les ouragans auxquels cette île n'est pas moins exposée
que celle de France. M.
Bouvet
[4]
,
gouverneur de Bourbon, homme
très en état de décider sur ces sortes de matières, m'a paru persuadé
qu'il n'était pas impossible de creuser un bon port à Saint-Denis :
je l'ai cru de même. Je craindrais cependant que la même cause qui a
fermé l'embouchure de la rivière ne bouchât pareillement l'entrée du
port et ne rendît ainsi inutile des dépenses qui d'ailleurs ne pourraient
être mieux placées. La rade de Saint-Paul est meilleure que celle de Saint-Denis. Les vaisseaux y sont à couvert des vents qui agitent
ordinairement cette mer. Cependant on n'y est pas trop en sûreté en
janvier, février et mars, surtout aux environs des nouvelles et pleine
lunes : c'est la saison des ouragans et des coups de vent, saison qui
commence même quelquefois en décembre et s'étend jusqu'en avril. Les
vaisseaux qui sont obligés de venir à Bourbon en cette saison, s'y arrêtent
le moins qu'il leur est possible ; ils évitent surtout de s'y trouver
au voisinage des nouvelles et pleines lunes. Ce n'est pas qu'on y ressente
des coups de vent, même longue la lune est dans ses quadratures, mais
l'expérience leur a sans doute appris qu'ils sont ordinairement plus
violents aux environs des syzygies. Le plus grand ouragan, dont on se
souvienne à Bourbon, est arrivé
la nuit du 26 au 27 mars 1751
[5]
, la lune devant être nouvelle le même jour 27 à midi. La rade de Saint-Paul est exposée au nord-ouest. Plusieurs ruisseaux, en s'élargissant,
forment près de cette côte un amas d'eau assez considérable qu'on nomme
— peut-être mal à propos — l'Etang
puisque c'est une eau naturellement courante. La rade forme une baie
presque semi-circulaire : le rivage n'est que de sable et il ne paraît
pas que la mer y en ait accumulé une trop grande quantité durant les
ouragans. D'un autre côté, le sol de la mer paraît s'éloigner du rivage
en pente douce, ce qui n'empêche pas que le flot ne batte fortement
contre le rivage et n'y forme une barre qui empêche les canots d'aborder
; ils se tiennent à une ou deux toises en mer, et des matelots, dans
l'eau jusqu'aux genoux, embarquent et débarquent soit les marchandises,
soit les officiers et les passagers qui ne veulent pas se mouiller les
pieds. Les premières de ces considérations m'inclineraient fort à croire
que Saint-Paul serait un lieu beaucoup plus commode que Saint-Denis
pour la constitution d'un port. Les dernières m'empêchent de le décider
absolument. Je me contente de dire que l'établissement d'un bon port
à Bourbon ferait de cette île un des meilleurs entrepôts que l'Europe
pourrait désirer pour son commerce des Indes. L'air de Bourbon est très sain
: on n'y connaît de maladies que celles auxquelles notre nature est
partout assujettie. Encore sont-elles ici plus rares que dans presque
toutes les autres contrées. Il n'est point extraordinaire d'y voir des
vieillards sains et vigoureux au-delà de quatre-vingt-dix, et même de
cent ans. La vie sage et réglée des habitants peut cependant y contribuer
beaucoup. Cette salubrité de l'air paraît commune à tous les endroits
habités de l'île, mais ces différents quartiers sont d'ailleurs sujets
à des variétés assez extraordinaires dans une
aussi petite étendue. L'intérieur de l'île est couvert
de montagnes ou comme l'ont dit quelques auteurs : ce n'est qu'une seule
montagne fendue dans toute sa hauteur en trois endroits différents.
Ces montagnes sont extrêmement hautes : M. de
la Nux
[6]
, conseiller au Conseil souverain de l'île et correspondant
de l'Académie, m'a dit qu'elles excédaient 2 400 et même 3 000 toises
[7]
de hauteur perpendiculaire au-dessus du niveau de la mer.
M. le Gentil en a mesuré la
hauteur, c'est d'après cette mesure que M. de
la Nux parlait, et
les montagnes mesurées n'étaient point, ajoutait-il, les plus hautes
de l'île ; tout ceci nous sera plus connu après le retour de M. le Gentil.
Sur ces montagnes, vers le milieu de l'île, il y a une plaine longue
de six lieues et large de deux : on la nomme Plaine
des Caffres
[8]
. Il y fait très
froid, il y gèle même en hiver
; cependant, elle serait susceptible de productions ; tous nos
fruits, tous nos légumes européens, y prospéreraient peut-être : on
commence dit-on à la cultiver. Elle est traversée par un grand chemin
dans toute sa longueur, mais ce chemin est rarement beau ; la pluie
et la neige le rendent souvent presque impraticable. Le 10 d'Août 1761,
il a neigé sur ces montagnes. Au bas de ces montagnes, dans
la partie la plus orientale de l'île, est le quartier et la paroisse
de Saint-Benoît. Il est fertile
et assez peuplé, la chaleur y est très modérée, les pluies fréquentes
et abondantes. Le quartier s'étend vers le sud-ouest à trois ou quatre
lieues et c'est là que finit la côte habitée. A cette côte succède ce
qu'on appelle le petit pays brûlé
; il y a ensuite huit ou dix lieues de côte inculte, mais qui serait
susceptible de culture ; cette
côte est bornée à l'ouest
par
le grand pays brûlé, ainsi
nommé parce qu'il n'est couvert que de la lave du volcan. Je n'ai pu
savoir au juste l'étendue des pays brûlés : le grand pays pourrait
occuper dix ou douze lieues de côte et le petit cinq ou six. Je ne puis
non plus déterminer la nature du climat ; j'ai lieu de le supposer frais
et pluvieux. A quatre lieues de Saint-Benoît, en remontant par le nord-ouest, on trouve la paroisse
de Sainte Suzanne, ce quartier
est un des plus peuplés de l'île ; les pluies quelque moins abondantes
qu'à Saint-Benoît le sont
assez pour fertiliser la terre : aussi ce quartier est très cultivé
ainsi que celui de Saint-André. Saint-André
est
une petite paroisse à une lieue et demie de Sainte
Suzanne vers le sud,
et à une lieue environ de la mer sur le penchant de la montagne : c'est
l'unique paroisse de l'île qui ne soit pas située sur la côte. A une lieue et demie de Sainte
Suzanne, en suivant la côte à l'ouest, on trouve la petite paroisse
de Sainte-Marie ; il y pleut
moins qu'à Sainte Suzanne. La terre y est encore assez fertile, surtout
au bas, et sur la croupe de la montagne qui est éloignée d'environ une
lieue du bord de la mer. Le long de la côte, on ne trouve guère que
des savanes ou des pâturages ; les plantations de blé, de maïs, de café,
etc., occupent le bas des montagnes. En continuant de traverser la
savane après deux heures et demie de chemin, on arrive à Saint-Denis, chef-lieu de toute l'île, résidence du gouverneur et
du conseil souverain. Saint-Denis
est situé à la partie la plus septentrionale de l'île par 20 degrés
51 minutes 43 secondes de latitude australe et par 13 degrés 10 minutes
de longitude. Toute la plaine à l'est et au sud de Saint-Denis
est encore en savanes : ces pâturages étaient presque desséchés lorsque
je les ai vus : ils venaient d'éprouver une sécheresse de six mois.
Il pleut rarement à Saint-Denis
; cependant, les chaleurs n'y sont pas excessives. Les montagnes s'approchent
de la côte et m'ont paru incultes. Ceux qui ont des habitations les
ont choisies plus à l'est
en tirant du côté de Sainte-Marie
ou même au-dessus des montagnes qui bornent le quartier de Saint-Denis,
du côté de l'ouest. Il pleut vraisemblablement plus sur ces montagnes
que dans la plaine de Saint-Denis.
Au moins, ces montagnes m'ont presque toujours paru couvertes de
nuages épais, lorsque nous jouissions en bas d'un temps clair et serein.
Pour continuer de faire le tour
de l'île par terre, il faut nécessairement escalader la montagne de
Saint-Denis, car durant l'espace
de quatre lieues, les montagnes servent de côtes à la mer. Du gouvernement
au cap Saint-Denis, ou au
cap Bernard, ou au cap de
l'Assomption (on lui donne
ces trois noms) M. l'Abbé de la
Caille jugeait qu'il pouvait y avoir 5 ou 600 pas ; il n'y a certainement
pas un quart de lieue et, sur la carte de l'île de Bourbon
au huitième volume des Voyages,
on a fait cette distance de deux lieues et demie. Un beau chemin, pratiqué
sur la croupe de la montagne de Saint-Denis, en rend la montée très
facile ; il n'en est pas de même des montagnes suivantes : elles forment
des vallées auxquelles on a donné les noms de Grande-Ravine,
de Ravine à Jacques, de Grande
Chaloupe, de Petite Chaloupe, et de Ravine
à Malheurs. Dans la Grande
et la Petite Chaloupe
surtout, je crois que l'inclinaison du chemin à l'horizon est
souvent de 45 degrés. Ce chemin serait absolument impraticable s'il
n'était pas pierreux ; les pierres attachées fermement à la terre forment
autant de marches et changent le chemin en escalier. Les chevaux sont,
dit-on, accoutumés à ces montées et à ces descentes ; il n'y a rien
à craindre, il suffit de les laisser aller ; pour le plus sûr, j'ai
mis pied à terre toutes les fois qu'il s'est agi d'entrer dans ces chaloupes
ou d'en sortir. Je suivais mon cheval qui était conduit par un Noir
; je ne me suis point aperçu qu'il ait fait un seul faux pas. Toutes
ces montagnes sont incultes. Lorsqu'on les a traversées, on entre dans
une grande plaine également inculte, pierreuse et desséchée dans la
saison où nous étions alors. Quelques maisons, à l'entrée de cette plaine,
forment une espèce de hameau qui se nomme la Possession
parce que c'est en cet endroit que les Portugais ont pris possession
de l'île au nom de Jean IV,
et les Français au nom de Louis
XIV. Il y a des terres cultivées vers le bas des montagnes qui sont
au sud et au sud-est de la Possession.
De là jusqu'à Saint-Paul,
on compte 3 lieues. Le chemin est uni mais pierreux, on traverse sur
un pont l'étang dont j'ai parlé ci-dessus. Les bords de l'étang étaient
couverts d'une belle verdure ; on voyait à droite et à gauche des allées
et des semences de cocotiers et de dattiers ; des fleurs sauvages émaillaient
agréablement la terre mais cette verdure ne s'écarte point de l'étang.
Presque tout le reste du terrain est sec et sablonneux jusqu'à Saint-Paul.
Le sable est noir, c'est ce qui lui fait retenir la chaleur du soleil
et le rend brûlant. J'étais quelquefois obligé de courir pour ne me
pas brûler les pieds. Durant les grandes chaleurs, on ne sort que le
matin et le soir. Si un Noir reçoit quelque commission vers midi, il
se munit de feuilles de lataniers qu'il jette successivement et alternativement
devant lui pour éviter de se brûler en marchant pieds nus sur le sable.
Le climat de Saint-Paul est
très sec et très chaud ; cependant M. de la Nux
m'a assuré que la hauteur de la liqueur du thermomètre de M. de Réaumur
n'y excédait jamais 28 degrés. Nonobstant cette sécheresse et cette
chaleur, le quartier de Saint-Paul
est le plus considérable et le plus peuplé de l'île. La supériorité
de la rade sur celle de Saint-Denis
y contribue sans doute beaucoup ; mais d'ailleurs la montagne voisine
est beaucoup plus tempérée et beaucoup plus fertile. Chaque famille
y a une habitation et est plus attentive à cultiver qu'on ne l'est communément
à l'île de France. Ces habitations qui ne s'étendent que jusqu'à mi-côte, sont
cependant très élevées. M. de la Nux donnait à la sienne
1200 toises au-dessus du niveau de la mer : une longue suite d'observations
lui avait persuadé que la liqueur du thermomètre s'y tenait constamment
4 degrés plus bas que dans sa maison de Saint-Paul. Aussi le 18 de Novembre, mon thermomètre étant monté à 28 degrés, celui de M.
de la Nux, à son habitation,
avait atteint seulement 24 degrés. Les ruisseaux qui sourdent du
bas de la montagne ont donné occasion d'y planter des jardins, d'y semer
du blé, du riz, etc. Au-delà de Saint-Paul, les montagnes
recommencent à servir de bornes à la mer mais elles ne sont pas si hautes
et le chemin n'y est pas si difficile qu'entre Saint-Denis
et la Possession. A trois
lieues de Saint-Paul on trouve
la rivière de Saint-Gilles. L'éditeur du journal du voyage de M. de la Haie
[9]
croit qu'on pourrait avec un peu de travail ouvrir avantageusement
cette rivière qui tire à son embouchure trois brasses d'eau, fond de
roches. Il y a plusieurs habitations
à Saint-Gilles ; elles dépendent
de la paroisse de Saint-Paul. Enfin vers le sud-ouest de l'île,
du côté de la rivière d'Abord,
il y a deux paroisses sous l'invocation de Saint-Pierre
et de Saint-Louis ; outre
les provisions nécessaires à la subsistance des habitants, on y cultive
beaucoup de café. Elles sont assez peuplées, à deux lieues de distance
l'une de l'autre, la plus éloignée étant distante de Saint-Paul
de 15 lieues. Je compte
qu'il y a environ 6 ou 7 lieues de Saint-Louis
au pays brûlé. Il y
a dit-on vers cette côte un très beau château
[10]
avec un jardin très bien entretenu, appartenant de droit
héréditaire à M. des Forges gouverneur de l'île de France.
On assure que ce lieu ne déparerait pas les bords de la Seine aux environs de Paris. Ces huit paroisses sont desservies
par treize prêtres de la mission ou de Saint-Lazare,
aussi estimés et aussi estimables que ceux de l'île de France. Il n'y a aucun curé à Saint-André, à Sainte-Marie
et à Saint-Louis. Dans les
autres paroisses, il y a un curé et un vicaire. Il y a de plus un clergé
de la même congrégation à Saint-Denis
qui, conjointement avec le curé, le vicaire et quelques autres personnes,
travaille à la desserte d'un collège qui y est établi. En temps de paix
on envoie à ce collège des écoliers non seulement de l'île de France,
mais des Indes ; on y a vu même des élèves portugais. La guerre l'avait
rendu presque désert. M. Teste
[11]
, curé de Saint-Denis,
est de plus vicaire général de M. l'archevêque de Paris duquel ces îles
dépendent. Le Souverain-Pontife avait même établi son vicaire apostolique,
avec pouvoir de conférer le sacrement de confirmation durant dix ans.
Le terme était écoulé, on attendait la paix pour faire renouveler ces
pouvoirs. J'ai parlé quelquefois du pays
brûlé tant grand que petit et j'ai dit qu'on le nommait ainsi parce
qu'il était couvert de la lave du volcan. Il y a en effet un volcan
à Bourbon un peu au sud-est du milieu de l'île. Il est assez tranquille
hors du temps des grandes pluies : l'eau semble l'irriter
[12]
; il lance alors des feux dont on voit quelquefois la lumière
du Morne-Brabant dans l'île
de France et sa lave se répand
vers les côtes les plus voisines. Ce volcan est peut-être la sauvegarde
de l'île. J'ai rassemblé des échantillons des pierres les plus communes
à Saint-Denis et à Saint-Paul
; ce sont les deux quartiers les plus éloignés du volcan. Ces pierres
portent les caractères les plus décisifs de l'incendie auquel toute
l'île a été sujette. Les feux souterrains s'étant fait maintenant une
libre issue par la bouche du volcan, il est à présumer qu'ils continueront
à s’échapper par cette voie sans troubler le reste de l'île. Je me suis attaché à considérer
attentivement les pierres de l'île, depuis Sainte-Suzanne
jusqu'à Saint-Paul. J'en ai
trouvé des blanches ; c'était à ce qu'il m'a paru une espèce de granit
divisé par couches ; la surface intérieure de chaque couche était dorée
: je serais tenté de croire que c'est de la mine d'or, j'en ai trouvé
très peu. J'ai rencontré aussi quelques pierres noires, grises, violettes
et de couleur rougeâtre ; d'autres étaient noires en partie et en partie
rouges ; d'autres enfin étaient noires ou brunes, divisées comme par
couches et la superficie extérieure de chaque couche était rouge. J'en
ai trouvé un très grand nombre de noires ou plutôt brunes, portant des
marques manifestes de calcination, criblées dans toute l'étendue de
leur substance et souvent friables ; il n'est point d'endroit où je
n'ai trouvé des pierres de cette espèce mais elles abondent plus à Saint-Denis
et à la Possession qu'à Saint-Paul. Il y a aussi, surtout dans la rivière de Saint-Denis,
en la remontant même jusqu'à une lieue, beaucoup de pierres tant criblées
que non criblées de différentes couleurs dont la substance est parsemée
de particules qui paraissent cristallines ou métalliques. Pour faire le chemin qui conduit
au haut de la montagne de Saint-Denis,
on a creusé une roche de couleur brune ou noirâtre, assez dure en quelques
endroits, absolument friable en d'autres ; quelque part que je la rompîsse,
j'y trouvais de petits globules d'une ou deux lignes de diamètre, extrêmement
blancs ; quelques-uns paraissaient absolument solides, d'autres ressemblaient
à un amas de petites aiguilles ou de petits filaments de substance cristalline.
J'ai vu, le long de la rivière, des pierres qui contenaient de semblables
globules. J'ai jugé que d'autres étaient de véritables poudingues dont
les cailloux étaient liés par un ciment rouge ; une petite pierre rouge
que j'ai ramassée sur le bord de la rivière a été décidée, par un naturaliste
de l'île, être de l'ocre rouge, mêlée de quelques particules minérales.
Presque toutes ces pierres, au voisinage de la mer, sont arrondies et
presque polies, comme le galet même de la mer. Mais je me suis assuré
qu'elles venaient de l'intérieur de l'île, vu que plus je remontais
la source de la rivière, plus ces pierres devenaient abondantes et moins
elles étaient polies et arrondies. C'est sans doute la rivière qui,
dans ses grandes crues, coulant impétueusement à travers les rochers
de l'intérieur de l'île, détache ces pierres, les roule dans ses eaux
et leur donne une forme de galet d'autant plus parfaite qu'elle les
a roulées plus longtemps. J'ai remarqué dans les roches
qui mettent Saint-Paul à l'abri
du vent du sud, que plusieurs d'entre elles affectent cette régularité
que l'on remarque souvent dans les carrières. Quoique les pierres de
ces roches m'aient paru assez homogènes, elles semblent cependant séparées
comme par couches horizontales, interrompues quelquefois par des crevasses
verticales qui ne nuisent point à la symétrie des couches. Mais cette
régularité m'a semblé se démentir à quelques endroits. Ici les couches
paraissent plutôt verticales qu'horizontales ; là une pierre d'un grain
noir et comme brûlé est interrompue par une autre pierre moins noire
et d'un grain différent, laquelle s'étend obliquement jusqu'à douze,
quinze et vingt pieds sur le fond de la pierre noire, où elle paraît
comme incrustée. Plusieurs pierres de Bourbon
m'ont paru manifestement incrustées de particules ferrugineuses ; mais
ce qui me permet de douter qu'il n'y ait beaucoup de fer dans l'île,
c'est le sable noir du quartier de Saint-Paul : ce n'est presque que
du fer, comme je m'en suis convaincu par la preuve de l'aimant. Nonobstant l'étendue et la hauteur
de montagnes, l'eau n'abonde pas à Bourbon
autant qu'on le désirerait. Les petits ruisseaux sont à sec durant une
grande partie de l'année. Quelques-uns plus considérables coulent toujours
; tels sont la rivière de Saint-Denis,
l'étang de Saint-Paul. Ces
ruisseaux se gonflent quelquefois et deviennent très considérables au
moment qu'on s'y attend le moins, ce qu'on attribue avec raison ou à
des fontes de neige
[13]
ou à des pluies abondantes dans l'intérieur de l'île, sur
les montagnes. Le quartier de Saint-Paul
est arrosé par un nombre infini de petits ruisseaux du moins entre la
montagne et l'étang, ce qui donne occasion d'y cultiver du riz ; on
sait que cette plante aime à avoir toujours le pied dans l'eau. On cultive aussi du riz en d'autres
quartiers de l'île, mais elle produit au moins autant de blé que de
riz. Pour peu que la moisson ne soit point traversée par une constitution
trop défavorable de l'air, on récolte, en riz, en blé, en manioc, etc.,
non seulement de quoi nourrir tous les habitants de l'île, on se trouve
de plus en état d'en faire des exportations considérables à l'île de
France ; c'est ce qui est arrivé l'année même que je suis parti de
l'île. M. de la Nux prétend
s'être assuré par plusieurs expériences que la terre de Bourbon rend au moins 200 pour un. On y cultive deux sortes de blé-froment
: l'un qui ressemble au nôtre et qui peut-être est originaire de France,
l'autre, beaucoup plus petit, qu'on appelle blé
de Bengale, du lieu de son origine. La moisson ne se fait pas partout
en même saison : dans les lieux les plus visités par la pluie, on sème
en mai et juin pour recueillir en octobre ; dans d'autres endroits,
on sème en novembre ou décembre pour faire la moisson en mars ou avril.
Si on voulait ensemencer la Plaine des Caffres,
je conjecture qu'il faudrait semer le blé en avril et mai pour ne les
récolter qu'en janvier. Plusieurs quartiers pourraient donner deux moissons
par an mais on fait sagement de ne le point exiger de la terre, ce serait
la faire trop travailler. Pour convertir le blé en farine,
on emploie des moulins à bras. On a construit un moulin à vent près
de Saint-Denis, mais on ne
s'en sert pas ; la force du vent est trop inconstante : après avoir
soufflé faiblement, durant une heure ou deux, de manière que pour entretenir
l'action du moulin il a fallu [
] de voiles et mettre en jeu tout ce qui pourrait faciliter son
mouvement, il survient une rafale imprévue qui précipite tout ; ce n'est
plus de la farine, ce sont des quartiers de blé qui passent avec le
son. Je suis sûr qu'un tel inconvénient ne serait point regardé en France
comme irrémédiable. Le
café
est une des productions les plus essentielles de Bourbon. On sait que
le café est au moins autant supérieur à celui de la Martinique
qu’il est inférieur à celui de Moka.
Les colons se sont engagés à cultiver une certaine quantité que la Compagnie
s'est pareillement engagée de prendre sur le pied de quatre piastres
la balle : la balle pèse environ 105 livres. Il n'y a point de plantations
de café le long de la côte ; elles sont toutes établies vers le pied
des montagnes. Il faut, dit-on, du [bois] pour abriter ces plantations
et il n'y en a plus sur la côte : on en a abattu. L'ouragan de 1751
en a déraciné beaucoup et a d'ailleurs presque détruit toutes les plantations
de café voisines de la mer. D'autres arbres ont péri par une espèce
de maladie : certains insectes déposent leurs dépouilles ou leurs oeufs,
ou plutôt leurs chrysalides sur l'écorce et les feuilles de certains
arbres qui en deviennent absolument noirs. A Rodrigue,
je n'ai vu que quelques citronniers atteints de cette maladie ; à Bourbon,
elle est plus générale, mais elle ne règne que sur les bords de la mer.
Vers Sainte-Marie, un plant
entier de citronnier en était attaqué ; il n'a pas dû tarder à périr.
On
cultive à Bourbon du tabac et des cannes à sucre. Le tabac est assez
fort, mais on lui préfère notre tabac des bureaux de France
lorsqu'on peut trouver l'occasion d'en acquérir. Le sucre est fort bon
; je n'en ai point vu en pain, mais seulement en poudre ; c'est une
espèce de cassonade, plus purecependant, plus fine et plus raffinée
que nos cassonades de France. On fait aussi du sirop de canne qu'on
ne réduit point en sucre ; ce sirop en tient lieu surtout dans les années
de cherté, telles qu'ont été les dernières années de la guerre. On tire
enfin des cannes une espèce de vin auquel on a donné le nom de sangorin
: cette liqueur m'a paru agréable au goût ; prise avec excès elle incommode,
dit-on, beaucoup plus que le vin. On en peut aussi extraire de l'eau
de vie ou de l'arack de sucre. En Amérique on a donné le nom de Taffia
à cette eau de vie. Le
coton est un des objets de la culture de Bourbon.
Il y en a de différentes espèces : on a donné à une le nom de petit
coton à graines blanches.
Elle diffère des autres en ce que ses feuilles sont beaucoup plus petites
et qu'elles sont comme divisées en cinq au lieu que les autres espèces
ont les feuilles divisées seulement en trois. Cette espèce est la plus
rare ; elle donne du coton plus fin mais elle en produit moins que les
deux autres. Outre le coton, l'île produit de la grande et de la petite
ouate : la petite ouate, ou
ouate du Sénégal, forme un arbrisseau haut de trois pieds ou environ
; les feuilles sont longues et étroites, faites en forme d'épée à deux
tranchants. M. de la Nux en
ayant présenté à des vers à soie, ils en ont mangé et sont morts aussitôt
en s'allongeant beaucoup et en devenant raides comme des bâtons. Il y a des vers à soie à Bourbon,
mais je doute qu'on en ait tiré beaucoup de profit jusqu'à présent.
On les nourrit de feuilles de mûrier de Bengale. Le fruit de cet arbre
est fort inférieur à celui de nos mûriers pour la grosseur et pour le
goût, les feuilles en sont excellentes pour les vers à soie. M. de
la Nux prétend qu'il réussirait très bien en France et même dans
des pays plus froid, et qu'il serait d'ailleurs préférable à celui que
nous appelons mûrier blanc. On n'élève pas ordinairement
ici les abeilles dans des ruches préparées exprès : on s'en rapporte
entièrement à elles sur le choix des lieux qui leur conviennent, mais
comme ces lieux ne sont pas inaccessibles, on les remarque, et lorsque
les mouches ont bien travaillé à la confection de leur cire et de leur
miel, il arrive souvent qu'elles n'ont pas travaillé pour elles. La
cire sert comme ailleurs à faire des cierges et de la bougie. Les gouverneurs font cultiver
à quelque distance du gouvernement un grand jardin connu sous le nom
de Jardin de la Compagnie
[14]
.
Je ne sais si ce jardin est directement utile à la compagnie, mais je
sais au moins, en général, que la Compagnie a dans l'île de Bourbon
des possessions plus réelles qu'à l'île de France.
Ce jardin, ainsi que plusieurs autres jardins de particuliers dans l'île,
abonde en fruits et en légumes. Les principaux fruits de cette île sont
premièrement les oranges.
J'y en ai vu de deux espèces : les unes ont l'écorce très épaisse, leur
douceur va jusqu'à la fadeur ; les autres ont la peau extrêmement fine
; je doute que l'on puisse manger ailleurs un fruit plus délicat. Outre
ces oranges que l'on peut appeler communes,
il y en a deux autres moins connues : j'ai parlé plus haut de la première
espèce à laquelle on a donné le nom de pamplemousses
; l'autre est plus petite, elle imite la pomme d'api pour la grosseur
et pour la forme aplatie ; elle est fort douce, agréable au goût mais
moins relevée cependant que les plus communes à peau fine ; elle est
originaire de Madagascar où
elle est connue sous le nom de Ouangasaïes. Les citronniers
et les limonniers sont aussi
très communs à Bourbon. J'ai parlé déjà des ananas,
des bananiers, des figuiers,
des papayers, des gouyaves.
J'ai vu ici une fleur de ce dernier fruit : elle était blanche, d'une
odeur suave, à peu près de la grandeur d'une []. On pouvait la regarder
comme semi-double, ses pétales pendaient en bas, six autres au-dessus
formaient une espèce de calice, lequel, outre plusieurs autres pétales
naissantes, contenait six étamines et un pistil. Les étamines jaunes
ne portaient point leur poussière prolifique à leur sommet, mais tout
le long de leur vif ou de
leur fût, s'il est permis d'employer ce terme, en dedans de la fleur
c'est-à-dire du côté du pistil. Quatre de ces étamines étaient aplaties
et comme collées sur autant de pétales naissants et, vers leur sommet,
elles se divisaient en deux pour former une [v] sur les pétales ; les
deux autres étamines étaient plus rondes, absolument isolées des pétales
et ne se divisaient point à leur sommet. Le manguier
est ici très abondant, j'ai parlé de son fruit dans la description de
Rodrigue. Il faut désespérer
de voir jamais cet arbre en France
si ce qu'on m'a assuré à Bourbon
est vrai qu'il faut, aussitôt que l'on a ouvert le fruit, en arracher
le noyau, en retirer l'amande et la planter à l'heure même, si l'on
veut qu'elle fructifie. L'amande a la figure d'une fève haricot, mais
elle est beaucoup plus grosse ; il faut en la plantant avoir soin que
le germe soit en haut : lorsqu'elle a germé, elle pousse sa fève hors
de terre comme le font nos fèves haricots. Si on veut transplanter le
manguier, il faut différer le moins qu'il est possible ; plus il sera
jeune, mieux cette transplantation réussira ; pour peu qu'on attende,
il n'est plus temps. J'ai pareillement parlé de l'atte
et de l'anone. J'ajouterai seulement ici que le suc de l'écorce de l'anone
passe pour un violent caustique et qu'on l'emploie avec succès contre
les verrues, les dartres, etc. La ouavangue
est une espèce de nèfle, qui est une plante de la famille du café, estimée
de plusieurs. On trouve ici des pêches
sauvages naturelles au pays : les feuilles de l'arbre qui les portent
ressemblent plutôt à celles du laurier-cerise qu'à celles du pêcher
; son bois est le plus beau que l'on connaisse ; on le préférait au
bois de natte, au palissandre [
] s'il pouvait leur être comparé pour la grosseur. La jame-rose est une espèce de prune ou de brugnon ; la peau est blanche,
rouge d'un côté, la chair très blanche ; ce fruit sent la rose encore
plus au goût qu'à l'odorat. De trois james-roses que j'ai vu ouvrir,
l'une renfermait un noyau, la seconde deux, et la troisième trois. J'avais
apporté ces noyaux jusqu'à Paris, mais je les ai trouvés en morceaux,
sans pouvoir y distinguer aucun vestige d'amandes. Le tamarin
ou tamarinier est un très
bel arbre de la taille de nos plus fort noyers, bien touffu, feuilles
ressemblantes à celles de l'acacia mais plus rondes, arrangées deux
à deux le long de la côte : pour fruit, il rapporte des siliques longues
comme le doigt et même plus et remplies d'une substance molle, assez
ressemblantes à la marmelade d'abricots pour la consistance et pour
la couleur ; cette marmelade noircit avec le temps, son goût est aigrelet
; elle est rafraîchissante et un peu laxative. Les Noirs en sont très
friands et en dérobent autant qu'ils peuvent. Dans la substance même
de cette marmelade, on trouve en chaque silique trois graines ; imitant
le lupin pour la figure et la fève pour la grosseur. La silique est
verte d'abord ; en mûrissant elle prend une couleur de feuilles mortes
; on
fait
des pains de tamarin dont les voyageurs peuvent faire des provisions
; le tamarin se conserve assez longtemps sans se gâter. La bringelle
croît sur un arbrisseau. J'ai trouvé beaucoup de rapport entre cette
plante et le solanum dont
j'ai parlé dans la description de l'île de France
: ce sont les mêmes feuilles et les mêmes fleurs ; aussi ce solanum
est-il appelé, à Bourbon,
bringelle sauvage. Les principales
différences sont premièrement que le fruit du solanum est d'un beau
jaune orangé lorsqu'il est mûr -celui de la bringelle est verdâtre-
; deuxièmement le premier est plus petit et presque rond, le second
plus gros et oblong ; troisièmement, on mange celui-ci, l'autre est
corrosif et pris en une certaine quantité, il est mortel ; quatrièmement
la bringelle a beaucoup d'épines à ses feuilles, le fond de sa fleur
en est seul hérissé. Les principaux palmiers connus
à Bourbon sont le palmier proprement dit, le dattier,
le latanier, le vacoua et le cocotier. Le
dattier est celui qui porte
le fruit connu sous le nom de dattes. C'est l'espèce de palmier la plus
connue des Anciens, c'est celle qui mériterait peut-être de porter le
nom de palmier proprement dit mais l'usage de nos insulaires s'y oppose.
Les vacouas de Bourbon sont cultivés, aussi sont-ils et plus grands et plus beaux
que ceux des deux autres îles. On m'a donné l'instruction suivante sur
la manière de planter les cocotiers : il faut, en pleine terre ou dans
la terre contenue dans une grande caisse, faire un trou assez grand
dans le fond duquel on mettra du sable de rivière ; on scie ensuite
le coco pour en ôter un bon pouce du côté de la queue, de manière que
l'incision n'endommage point l'amande, mais on la laisse presque à découvert
; on place le coco sur le sable, la partie incisée tournée en haut,
et on le recouvre de deux ou trois pouces de terre légère. Il s'écoule
six mois, quelquefois un an avant que le germe paraisse hors de terre
mais, dès qu'il est levé, il croît avec rapidité. On transplante aisément
le cocotier. Lorsqu'il commence à grandir, il aime mieux la pleine terre
que la caisse parce qu'il étend beaucoup ses racines. En Europe, il
faut le planter en février, mars ou avril. Le cocotier demande beaucoup
d'eau. Le raisin
terminera ce que j'ai à dire des fruits de Bourbon.
Il n'y a point de vignes dans l'île, mais seulement quelques treilles
: j'ai mangé du raisin de ces treilles. Le 13 de novembre, il était
assez bon mais il n'avait pas encore atteint sa parfaite maturité. Je
ne doute point que la vigne ne pût réussir à Bourbon mais tous les quartiers
n'y seraient peut-être pas également propres : un des plus grands inconvénients
viendrait sans doute de la part des Noirs qui ne donneraient point au
raisin le temps de mûrir. Le bois ne manque pas à Bourbon,
mais on y éprouve le même inconvénient qu'à l'île de
France ; on coupe le bois et il ne repousse pas. Les principaux
arbres dont j'ai eu connaissance, outre ceux dont j'ai parlé, m'ont
été pour la plupart désignés par des noms sous lesquels les naturalistes
les reconnaîtront difficilement. Tels sont le bois
de natte à petites et à grandes feuilles, le bois-blanc,
le bois-rouge, le bois-jaune,
la patte de poule, le joli-coeur,
le bois de [ ],
etc. J'ai déjà dit que le bois
de natte était très propre aux ouvrages de menuiserie : on mange
le fruit de cet arbre, il n'est pas fort délicat : on l'emploie pour
engraisser les bestiaux et surtout les chevaux mais tous n'en mangent
point. Cet arbre rend un suc laiteux dont on fait de la glu pour prendre
les oiseaux. Je n'ai vu du bois blanc qu'un de ses fruits ; c'était une espèce de noix qui avait
la figure d'une poire. Il distille du bois
rouge une gomme équivalente à la gomme arabique. Ce bois est un
puissant émétique. L'écorce du bois
jaune est un excellent vermifuge, même lorsqu'elle est desséchée.
En général, tout ce bois, mais principalement l'écorce prisée en infusion
est purgative, stomachique, mais très chaude, elle détache les humeurs,
les dépose dans les intestins, mais elle n'a pas assez de force pour
les bien évacuer ; il est à propos de la mêler avec quelques sels :
le bois jaune est fort amer. La
patte de poule est un bois aromatique : ses feuilles mêmes desséchées
sont un excellent vulnéraire, elles pénètrent même jusqu'à la poitrine
et sont très bonnes dans la pulmonie, mais il ne faut en user intérieurement
qu'avec beaucoup de sobriété ; autrement, elles porteraient à la vessie
et feraient, m'a t-on dit, le même effet que les mouches cantharides.
J'avais apporté une branche de cet arbre, ainsi que des deux arbres
suivants ; j'ai donné le tout à M. Adanson
qui en a reconnu plusieurs dont il m'a donné les noms. Le joli-coeur,
espèce de célastrus, est aussi un bois aromatique ; ses feuilles desséchées
ont presque autant de vertu que celles de la patte
de poule. On amalgame souvent ces deux vulnéraires ensemble pour
les appliquer en topique, soit pour les faire prendre intérieurement,
mais il faut être sobre dans ce dernier cas. Les feuilles de Cubebe sont une épicerie : on s'en sert en guise de poivre ; on doute
si, étant desséchées, elles auraient la même force. Le fruit de cubebe
est gros ; on en trouve la description au quatrième volume de l'encyclopédie
et ailleurs. J'ai donné aussi à M. Adanson
une branche d'une espèce de cannelier
mais je doute qu'elle soit de la bonne espèce ; celle-là est encore
plus épicée et plus piquante. J'apportais dans des bambous de vrais
canneliers du Réduit de l'île de France
; ils étaient originaires de Ceylan. Tout cela s'est dissipé lorsque
nous avons été pris par les Anglais près des Açores. Le tan-rouge
est un arbre de 60 à 70 pieds de hauteur dont la graine est presque
imperceptible. Pour le tan, on se sert ordinairement à Bourbon d'écorce
de benjoin ; on a quelquefois
employé celle de l'arbre dont il est ici question : l'épreuve a réussi
d'ailleurs, mais le tan s'est trouvé exactement rouge ; c'est l'origine
du nom que l'on a donné à l'arbre. J'ai dit plus haut que le benjoin
de ces îles n'était pas un véritable benjoin. La gomme de tacamahaca passe pour le meilleur des balsamiques. L'ébénier
est de trois espèces comme à l'île de France.
Le pignon d'Inde sert à faire
des haies et des enclos : on l’entrelace de raquette
pour rendre l'entrée plus difficile aux hommes et aux animaux. On distingue deux sortes de
cadoques ou caretti ou bonducs de la
grande espèce : le noir et le blanc ; j'ai donné sur Rodrigue la description de cet arbrisseau. Le cadoque
noir, disent-ils, est plus gros que le blanc ; il est ainsi appelé,
parce qu'il a une ligne noire qui l'entoure en partie, comme les fèves
ont une espèce de ligne qui couvre leur germe ; il a de plus la coque
du noyau bien plus fine, et par conséquent le noyau moins dur que le
cadoque blanc ; au reste, les deux espèces ont les mêmes propriétés.
Le balisier du Sénégal est
une espèce de plante de la famille du gingembre ; il n'a qu'une tige
principale et des feuilles semblables à celles du maïs, mais plus petites,
bien plus rares et d'un vert plus foncé. Une liane dont j'ignore le nom avait des graines assez semblables à celles
du balisier du Sénégal : sa
feuille veloutée est faite en forme de poire ; de trois pouces et demi
de long sur près de trois pouces de large par le bas. Le mouronguier,
arbre originaire des Indes est d'assez haute futaie : ses feuilles rangées
deux à deux le long des côtes ressemblent assez à celles du buis ; elles
sont moins longues, beaucoup plus minces et d'un vert plus clair, tirant
sur le vert de l'oeillet. On les mange en guise d'épinards, surtout
lorsqu'elles sont jeunes : c'était de ces feuilles dont M. Puvigné
nous faisait manger à Rodrigue
sous le nom de séné. Les Malabars
en font usage dans leurs carrisa.
La fleur du mouronguier est
composée de 10 pétales presque blanches avec une teinte très légère
de violet ; cinq de ses pétales, situés plus bas que les autres, embrassent
toute la tige par leur pied, mais ils se replient d'un même côté, laissant
l'autre côté absolument dégarni. Des cinq pétales supérieurs qui forment
le calice, quatre se replient pareillement du même côté, et le cinquième
seul occupe l'autre côté en s'élevant en haut, comme pour protéger l'intérieur
de la fleur. Cette fleur a cinq étamines à poussière jaune et, dans
le fond du calice, un pistil, lequel jette un filament plus long que
les étamines. Les siliques ont environ un pied de long ; elles
sont composées de trois cosses larges de 4 à 5 lignes et disposées en
forme de prisme triangulaire ; sous chaque cosse est une rangée de mourongues
accouplées irrégulièrement une à une, deux à deux, trois à trois et
quatre à quatre. Entre ces différents accouplements, il y a 7 à 8 lignes
de distance ; les mourongues accouplées ne se touchent pourtant point. Ce fruit est
blanc, de la même consistance que nos noisettes, plus petit cependant
et couvert d'une peau brune. Si on le mange après avoir enlevé cette
peau, on le trouve d'abord assez bon et d'un goût approchant de celui
de nos meilleures noisettes, mais ce goût fait bientôt place à une amertume
disgracieuse. Du côté de la figure, la mourongue
a quelques ressemblances avec un tétraèdre dont une base serait arrondie.
Outre plusieurs légumes européens
qui réussissent à Bourbon,
outre les ambrevades rouges
et blanches et quelques autres légumes indiens, dont j'ai parlé sur
l'île de France ou sur celle
de Rodrigue, j'ai vu à Bourbon d'autres légumes que je n'avais point remarqués dans les deux
autres îles. Telle est surtout la pépingaïe.
Le pépingaier est une liane
très propre pour garnir des berceaux, il n'est pas vivace ; je ne me
suis pas rencontré dans la saison propre pour examiner ses feuilles
et ses fleurs. Je sais seulement que la fleur est jaune. Le fruit est
un très bon légume de la grosseur d'un concombre. Lorsqu'il est encore
vert et qu'il n'y a point de filandres formées dans la chair et que
le couteau peut y entrer aisément, on le ratisse légèrement pour ôter
un duvet qui le couvre, on le coupe par tranches, on lui donne un bouillon,
on le sert à la sauce blanche. Si l'on attend trop longtemps, la chair
devient filandreuse, elle se durcit ensuite et forme une calebasse ou
une coque qui renferme les graines : ces graines sont noires de la figure
et de la grosseur au moins des pépins de melon ; elles sont fort amères
et très purgatives. On peut mettre au nombre des
légumes, les plantes que les habitants de ces trois îles appellent brèdes : c'est le nom générique qu'ils donnent à toutes les plantes
qu'on a coutume de hacher pour les manger en guise d'épinards. J'ai
vu à Bourbon deux de ces brèdes auxquelles on a donné le nom de brède pariétaire et de brède
pariétaire épineuse : on connait encore la première sous le nom d'épinard
des Indes ; on m'a dit que la seconde s'appelait, en terme de botanique,
pariétaire maculata. L'une
et l'autre ont quelques rapports avec nos épinards ; elles diffèrent
entre elles en ce que la première n'a point d'épines ; leur graine,
lorsqu'elle est mûre, ne diffère de la graine du tricolor que par son
extrême petitesse. On pile aussi la brède pariétaire épineuse pour en
faire usage dans les lavements. L'herbe étintel tire son nom d'un mot malgache qui signifie miel
; on la nomme ainsi parce que les mouches à miel la fréquentent par
préférence. Je ne crois cependant pas avoir jamais respiré une odeur
aussi fétide que celle du bois, des feuilles, des fleurs et des gousses
de cette plante ; je n'en donne qu'une faible idée en la comparant à
celle qui s'exhalerait d'un mélange d'ail avec les vidanges les plus
infectes. La fleur est blanche et a quatre pétales ; elle ressemblerait
à celle du jasmin si ces quatre pétales étaient réduits en un seul par
le pied, comme cela arrive dans le jasmin. Un filament naît du milieu
de ces pétales et aussitôt, de la fleur, il s’élève fort au-dessus des
pétales et bien en dehors ; il porte à son extrémité supérieure six
longues étamines et un pistil. Il y a deux sortes de feuilles : les
unes petites, situées contre la tige de l'arbrisseau à la naissance
des fleurs et des petites branches, sont absolument semblables et égales
à celles du trèfle ; les autres, à l'extrémité de petites branches,
imitent celles du petit coton dont j'ai parlé plus haut ; égale en largeur
à celles du chêne, elles ne sont pas plus longues que larges ; elles
sont comme divisées en cinq espèces de testons ainsi que celles du chêne,
de la vigne et du figuier, etc. On m'a dit que cette plante était une
espèce de bec de grue : nonobstant sa puanteur, les malabars
en mangent les feuilles accommodées en brèdes et, c'est pour cela que
je la mets à la suite des légumes de Bourbon.
L'île est très abondante en
simples de toute espèce. Voici les principaux que j'ai pu y remarquer
: L'amium,
c'est une ortie qui tient un milieu entre l'ortie morte et l'ortie royale
tirant plus de celle-ci que de l'autre ; c'est un excellent anodin,
fort bon contre le flux de sang, le flux hépatique, le flux dysentrique,
etc. Pour l'employer, on met la fleur en décoction dans du lait. Arrête
de boeuf
ou crotolaria ; c'est une
espèce de genêt. J'ai remarqué que sa feuille qui n'est point celle
du genêt varie singulièrement dans sa grandeur et dans sa figure : ici
elle imite celle du trèfle, là elle excède la grandeur de celle du pois
; elle est ronde, elliptique, pointue, etc. La graine est dans les siliques.
Hérisson
rouge
et hérisson blanc : ces deux
plantes se ressemblent assez, la graine est comme hérissée de petites
pointes, elle est rougeâtre dans le hérisson rouge et blanchâtre dans
le blanc. On dit que le rouge est la mauve, et le blanc la guimauve
de Bourbon. Le blanc est un excellent béchique : il est humectant, pectoral,
mucilagineux. On retire d'ailleurs de ces deux plantes la même utilité
que nous retirons du chanvre en France. On en fait une très bonne filasse
pour les cordages. Une plante que j'ai prise d'abord
pour un jonc, c'est une espèce de souchet
; elle a aussi quelque rapport avec l'oeillet. L'herbe
de Laurent-Martin
a la figure du romarin mais elle doit plutôt entrer dans la classe des
plantes composées ; elle paraît être une espèce de serratula
; c'est un excellent simple qu'on m'a dit être inconnu en Europe. Il
est vulnéraire, hystérique, résolutif ; on l'applique en topique ; on
ignore si on l'a jamais pris intérieurement. Une menthe que l'on m'a désignée
par le nom de mentha foetida
; c'est un grand hystérique ; elle est résolutive, bonne contre les
douleurs de la goutte et de la sciatique : on l'applique pareillement
en topique. Herbe
à sornet
: on la croit de la classe des benoîtes ou des galiotes ; elle est excellente
pour réparer les vieilles terres, pour la nourriture des bestiaux, etc.
En tisane elle est fébrifuge ; elle est aussi fort saine prise en décoction
comme du thé. Capillaire
politrite
à feuilles en ailes d'oiseau ; cette espèce peu commune en Europe est
cependant une des meilleures. Une grande
sauge de très bonne espèce ; c'est une autre espèce de Sureau
de Bourbon,
c'est une espèce de sureau qui a toutes les propriétés de l'hièble :
il forme un arbrisseau assez grand, il aime le voisinage de l'eau. Je
ne crois pas que la fleur, que je n'ai pas vue, soit plus grande que
celle de notre sureau ; piquée par un insecte, elle augmente considérablement
de volume et se change en une espèce de gale aussi grosse qu'une noix.
Ce sureau employé en topique est un excellent hydragogue. Il est bon
contre l'hydropisie, contre la difficulté d'uriner, contre toutes les
maladies où il s'agit de purger les humeurs. Sa seconde écorce passe
pour être utile pour guérir les brûlures. Bourrache
d'Inde
: elle a la feuille moins veloutée que la bourrache ; on la croit connue
en Europe sous le nom d'herba domestica, celle dont la graine est un
[lapsana]. J'ai parlé sur l'île de France
du Fatack. Une espèce de liane ou de lierre terrestre dont les feuilles
ressemblent à celles du solanum,
dont j'ai déjà parlé plusieurs fois : il y a quelques épines à la tige
mais non pas aux feuilles ; c'est, m'a-t-on dit, une espèce de mauve
dont elle a les propriétés. Un simple dont la feuille est
très petite et la fleur violette [pourvue] d'une infinité de pétales,
ou peut-être d'une infinité d'étamines sans pétales, ou plus vraisemblablement
d'un grand nombre de fleurs extrêmement petites dont les pistils et
les étamines se confondent avec les pétales : on m'a dit que c'était
une menthe et qu'elle avait toutes les propriétés de notre mentha
angussifolia spicata. (Vérifier si ce n'est pas cela que j'ai eu
sous le nom de menta sativa cueillie le 6 ; dans ce cas, ce sera une
espèce de serratula). Un lychnis
dont les feuilles, d'un vert foncé, sont longuettes et aiguës, naissant
quatre à quatre, les unes dans les autres, à chaque branche, les plus
longues enveloppant celles qui sont plus nouvellement écloses, ce qui
fait que chaque petite branche ressemble à une mâche pour l'arrangement
et la couleur des feuilles, mais non pas quant à la figure ; je n'ai
point vu de fleurs. Une espèce de lierre terrestre
qui rampe lorsqu'il est jeune et se redresse ensuite : ses feuilles
ressemblent à celles de la menthe et surtout à celles de cette espèce
de menthe qu'on a coutume de nommer baume et qu'on mange en fourniture
dans les salades. M. Aublet,
qui avait passé quelques jours avant moi par l'île de Bourbon,
avait décidé que c'était une espèce de mauve. Le
pavot épineux argemone, ses
feuilles en effet le feraient prendre pour un chardon plutôt que pour
un pavot ; sa fleur est jaune, cinq pétales, étamines sans nombre, pistil
semblable à celui des autres pavots. On tire de sa graine une huile
fort bonne pour appliquer sur le bois ; c'est la seule dont on se sert
à Bourbon pour cet usage ;
sa racine en décoction passe pour un fébrifuge. Un
gramen ou chiendent très
fin, bon pour le pâturage ; un autre gramen, excellent pâturage, la
graine naît au bout d'un long chalumeau extrêmement barbu, on le prendrait
presque pour une chenille. Palma-christi
: cette plante est bien connue. La raquette
: on connaît pareillement celle-ci ; elle est très abondante à Bourbon
; comme les murs des enclos sont bas, pour empêcher qu'on ne les escalade,
on les tapisse et on les couvre de raquette. En m'entretenant avec mes
naturalistes de Bourbon, lesquels se donnent cependant plutôt comme amateurs de l'histoire
naturelle que comme naturalistes décidés, nous nous demandions s'il
serait impossible de transporter des cochenilles vivantes de l'Amérique
jusqu'à l'île de Bourbon ;
l'air y est assez chaud pour ces insectes, la sécheresse qui règne dans
plusieurs cantons favoriserait leur multiplication, les raquettes de
l'île leur fourniraient, apparemment, des sucs nourriciers aussi abondants
que celles du Mexique, etc. Nous n'avions rien à faire à
Bourbon, il fallait s'entretenir
et raisonner bien ou mal. Une espèce de renouée ou santinodia ;
fleurs blanches à deux pétales autant que je l'ai pu juger ; je ne sais
cependant si ces deux pétales ne se réunissent pas en un au fond de
la fleur. Un de ces deux pétales, en forme de raquette, a deux à trois
lignes de longueur ; l'autre, de moitié plus petite, se recourbe en
dedans pour couvrir et garantir en quelque sorte le pistil et les étamines.
On extermine cette plante dans les pâturages, sans doute de peur qu'elle
ne se multiplie trop : sa racine est hystérique et sudorifique ; ses
feuilles pilées ont les propriétés que nous attribuons aux amandes douces.
L'herbe
de l'Inde
: les feuilles sont en petit nombre fort petites ; la tige qui doit
porter les fleurs et les graines, s'élève fort haut, c'est-à-dire comme
la tige du plantain et même plus haut. Les boutons à fleurs naissent
le long de cette tige, ils sont rouges et font un bel effet ; la fleur,
je pense, a quatre pétales ; je n'en ai pas vue de bien éclose. Les
capsules qui contiennent la graine sont aussi grosses que les boutons
à fleurs, et épineux par le haut : il faut, en conséquence, les ramasser
de bas en haut et non pas de haut en bas, si l'on veut éviter d'être
piqué. La racine est un bon fébrifuge, elle facilite les évacuations
menstruelles des femmes. Le petit baume blanc : c'est une plante aromatique, bien ressemblante au petit
basilic ou c'en est une espèce ; cependant la graine m'en a paru différente. Le grand baume rouge, autre
plante aromatique, plus grand que tous les basilics que j'ai pu voir,
mais ce n'est qu'un arbrisseau ; ce n'est donc pas du vrai baume du
Pérou comme celui qui me le montrait dans son jardin voulait me le persuader.
Selon lui, on trouve, sur les montagnes de Bourbon,
trois espèces de baume, et le baume du Pérou est une de ces espèces
: un de mes naturalistes m'a dit que le vrai nom de ce baume était celui
que je lui ai donné en commençant cet article, c’est un vrai basilic. Stramonium
ou solanum furiosum : on connaît
cette plante surtout dans les pays méridionaux de la France ; sa graine
passe ici pour le plus puissant narcotique que l'on connaisse. Une cuisinière
noire mit un jour de ses feuilles dans le pot en guise de légumes :
tous ceux qui en mangèrent furent extrêmement incommodés ; on sauva
cependant ceux que l'on entreprit à temps, d'autres en moururent. Il
fut prouvé que la cuisinière n'avait point agi par distraction : elle
fut pendue. Une tithymale
qui n'est pas caustique puisque les bestiaux en mangent sans s'incommoder. La suncus
odorans n'est pas inconnue en Europe : c'est réellement un jonc
; sa racine froissée a une très bonne odeur ; on n'en trouve qu'au bord
des ruisseaux ; cette plante a toujours le pied dans l'eau ; sa racine
est un puissant hystérique. J'ai parlé sur l'île de France
de l'acacia siamois. Un simple, dont on n'a pas pu
me dire le nom, a la fleur soutenue par cinq feuilles qui en forment
le calice ; un seul pétale d'un bleu extrêmement clair a la figure d'un
pentagone régulier, excepté que ses angles saillent un peu en dehors
en pointes très aiguës et qu'au contraire il y a une légère échancrure
au milieu de chaque côté. Ce pentagone est divisé régulièrement en 10
parties égales par ses rayons droits et obliques distinctement marqués
; près du coeur, cinq espèces de lignes d'un beau jaune et un peu larges
forment un second pentagone ou plutôt, elles le formeraient si elles
étaient un peu prolongées, car elles ne se touchent pas ; j'ai pris
ces lignes pour les étamines ; au centre s'élève un cône qui est apparemment
le pistil ; j'ai ouvert plusieurs de ces cônes, et je n'y ai pu rien
distinguer, même avec le secours de la loupe. La fleur peut avoir cinq
ou six lignes de diamètre ; n'est-ce pas un lignum convulvulus ? Une autre plante dont pareillement
on n'a pu me dire le nom, c'est la pervenche des Indes,
quoiqu'elle
soit extrêmement commune. Comme elle est en fleurs toute l'année, je
l'avais d'abord désignée par le nom d'Aeïanthos
; quelqu'un m'a dit depuis qu'elle se nommait en effet fleur sans fin. On m'a dit qu'elle était originaire de la Chine
; si cela est, il faut qu'elle ait prodigieusement fructifié à Bourbon.
On la trouve partout : c'est la mauvaise herbe du pays. Son odeur n'est
pas suave ; elle est d'ailleurs fort gracieuse à la vue. Elle a cinq
pétales d'un rouge, assez clair vers l'extrémité extérieure, mais qui
se fonce beaucoup aux approches du coeur ; le coeur est un tuyau cylindrique,
frangé à sa partie supérieure, et d'une belle couleur de pourpre. On
n’en peut examiner le coeur qu'avec la loupe ; muni de ce secours j'ai
cru trouver six étamines dans une fleur, mais dans toutes les autres
je n'en ai trouvé que cinq ; outre le pistil, la fleur peut avoir dix-huit
à vingt pouces de diamètre. La graine vient dans des siliques. J'ai
vu plusieurs pieds de cette plante au Jardin du Roi, à Choisy.
Le
jasmin de Bourbon
a des feuilles plus grandes et moins aiguës que celles de notre jasmin
; il n'y a même aucun rapport entre ces deux plantes du côté de la feuille.
Les fleurs se ressemblent beaucoup plus du côté de la couleur, de l'odeur
et de la forme ; l'unique différence que j'y ai remarquée consiste en
ce que l'unique pétale qui constitue l'extérieur de la fleur forme un
entonnoir beaucoup plus long, que
cet entonnoir se divise en six sections et que ces sections sont
plus courtes dans le jasmin de Bourbon
que dans notre ordinaire de France. La
fleur de paradis
est une liane qui croît promptement, qui devient fort haute et qu'on
emploie conséquemment à la couverture des berceaux. Sa feuille est semblable
à celle de l'asperge ; on m'a dit que la fleur était rouge, formée en
étoile et très jolie. Cette plante ne paraît pas vivace : lorsque je
l'ai vue, la principale tige était morte, il en
repousse d'autres du pied ; on n'a pu me dire si celles-ci sortaient
de la racine de l'ancienne tige, ou si elles devaient leur naissance
aux graines répandues par terre. J'ai vu à Saint-Paul une caverne
creusée sous une montagne par les mains de la nature ; elle peut avoir
40 pieds de long sur 20 de large et 4 à 5 de
haut ; l'entrée est précédée d'une espèce de pluie continuelle
formée par l'eau qui tombe continuellement du haut de la montagne ;
l'eau dégoutte aussi de plusieurs endroits de la voûte ; enfin l'entrée
est comme défendue par des roches qui ont été détachées d'en haut. Tout
contribue à entretenir une fraîcheur continuelle dans la caverne. Aussi
est-elle tapissée, à droite et à gauche, en haut et en bas, d'une espèce
de scolopendre ou capillaire
qui est de la grandeur de la fougère ordinaire ; je n'y ai point vu
de graines. Il y avait aussi dans cette
caverne une espèce de grande oseille
: au moins ses feuilles, longues au moins de deux pieds, avaient la
figure et le goût de l'oseille. La fleur était passée, la graine commençait
à se former, mais il s'en fallait encore de beaucoup qu'elle fût mûre
et en état d'être emportée. Une espèce de luzerne que l'on
m'a nommée médica : ses feuilles
sont arrangées trois à trois à chaque petite branche comme dans le trèfle
; elles sont elliptiques, ayant 10 à 11 lignes de grand axe et 7 environ
de petit ; je n'ai point vu de fleur ; la graine vient en siliques. On fait certainement à Madagascar
une espèce d’indigo qui n’a pas l’éclat de celui qui vient de l’Amérique,
ce qui peut être attribué facilement au défaut de la manipulation. J’ai
un échantillon de cet indigo, mais je n’ai point vu la plante qui le
produit. Si cet indigo croît à Madagascar, pourquoi les îles de Bourbon
et de France ne pourraient-elles pas le produire ? J’ai vu à Bourbon deux
plantes, que l’on a décorées du nom d’indigo
: on a donné à la première le nom de faux
indigo, tout le monde convenait qu’elle ne méritait point l’épithète
de vrai. Quelqu’un cependant m’a dit que si cette plante ne produisait
pas le beau bleu que l’on tire de l’indigo, elle fournissait au moins
la plus belle couleur jaune que l’on pût imaginer. Si cela est, ce que
je ne garantis pas, cette plante ne serait pas à négliger. Elle ressemble
d’ailleurs, dit-on, au véritable indigo. Je ne l’ai vue qu’un instant
dans les premiers jours de mon séjour à Bourbon, et je ne l’ai pas examinée
assez attentivement pour décider de cette ressemblance. On m’a désigné la seconde plante
sous le nom d’indigo bâtard
; on l’a semée, dit-on, à Bourbon
comptant qu’elle était la véritable plante qui produit l’indigo, on
s’est trompé, ajoute t-on, et cette plante dont on espérait beaucoup
est presque devenue le fléau de l’île : en effet, on ne trouve presque
aucune autre plante à la Possession
et aux environs de Saint-Paul.
Je l’ai examinée, je ne l’ai point vue en fleurs mais d’ailleurs je
lui ai trouvé tous les caractères que l’Hortus
Malabaricus donne à son ameri,
tome I, planche 54. Je crois que cet ameri
ne diffère point du véritable indigo. L’indigo bâtard de Bourbon
ne forme qu’un assez petit arbrisseau mais il n’est point cultivé. S’il
l’était, je ne doute point qu’il n’égalât au moins l’ameri de l’Hortus Malabaricus. On m’a montré sur des murs une
liane ou une espèce de lierre, qu’on m’a dit être un ipécacuana. On m’a donné quelques branches
d’un arbrisseau, qu’on croit être le vrai thé
de la Chine : je les ai apportées en France et c’est une espèce
de mauve appelée herbe à ballets en Amérique. Un autre amateur de l’histoire
naturelle m’a aussi donné quelques graines de ce thé vrai prétendu. Voilà ce que j’ai pu rassembler
sur l’histoire naturelle des plantes de Bourbon.
Il y a apparence que la saison des pluies, qui allait commencer lorsque
j’ai quitté l’île, aura donné naissance à plusieurs plantes que je n’ai
pu examiner ; il y a même tout lieu de croire que les quartiers de Saint-Benoît et de la rivière d’Abord,
ainsi que les montagnes où je n’ai pas été, produisent des plantes différentes
de celles que j’ai trouvées aux environs de Saint-Denis
et de Saint-Paul. J’ai rapporté
des graines de presque toutes les plantes dont j’ai parlé. Je n’ai pu
en recueillir de celles qui n’en avaient point. J’ai donné ces graines
au Jardin du Roi à Choisy,
à M. Adanson, à quelques particuliers qui cultivent des plantes étrangères.
J’ai désigné ces plantes par les noms sous lesquels mes naturalistes
me les ont fait connaître ; ces naturalistes ou plutôt ces amateurs
de l’histoire naturelle sont M. Préodet,
capitaine des troupes de la Compagnie, M. de la Nux Conseiller au Conseil souverain, M. Nogent greffier du même Conseil, M. Ferry, etc.. C’est aussi sur leur autorité que j’ai attribué des vertus
médicinales à quelques-unes de ces plantes. Quant à ce qui regarde la
description des plantes, de leurs feuilles et de leurs fleurs, je l’ai
faite sur l’inspection même des pièces. MM. Nogent
et Ferry m’avaient aussi
donné quelques graines de Madagascar,
avec promesse de m’en envoyer en plus grande quantité. C’est aussi de
ces mêmes messieurs que je tiens une composition de la drogue amère
de Pondichéry dont les Jésuites
se sont toujours conservé une connaissance exclusive. Quelqu’un cependant
a prétendu leur avoir volé leur secret et en a donné la recette à M.M.
Nogent et Ferry. La voici telle que je l’ai reçue d’eux :
Recette de la drogue amère de Pondichéry Une
bouteille d’eau de vie de cognac
4
gros
[15]
d’aloès 4
gros de gentiane 4
gros de racine de serpentaire de Virginie
ayant l’odeur de térébenthine 2
gros d’encens en larmes 24
grains de safran oriental 1
gros de mastic en larmes 1
gros d’écorce d’orange sèche. Concassez séparément toutes ces drogues,
et les mêlez ; vous les mettrez ensuite dans la bouteille d’eau de vie
; il faut observer que la bouteille ne soit point pleine, elle doit
laisser en haut environ 4 doigts de vide ; bouchez-la légèrement et
exposez-la au soleil durant 10 ou 15 jours en observant de la remuer
deux ou trois fois par jour. Versez-la ensuite en l’inclinant, sans
la passer. La dose est de deux cuillerées pour une grande personne ;
pour les enfants, à proportion. Ce remède est bon contre les coliques
et la dysenterie. On l’imbibe aussi dans du coton contre les maux d’oreilles.
Cette drogue est réellement très estimée dans les Indes. Lorsque nous
en prenions sur le d’Argenson,
nous la mêlions dans un grand demi-verre de vin blanc. Ces mêmes messieurs m’ont aussi donné
une recette de pilules dont voici la copie :
Pilules purgatives du Fr. Basin, jésuite
du l’Andercha Une
once d’aloès succotrin une
once
[16]
de bonne rhubarbe demie-once
de myrhe 24
grains de safran oriental. Pilez
le tout séparément et tamisez. Faites une masse de cette poudre avec
de bon vin blanc ou du sirop de roses en assez grande quantité pour
faire une masse du total.
On trouve à Bourbon à peu près les mêmes animaux que sur l’île de France,
excepté qu’il n’y a point de singes et il est expressément défendu d’y
en laisser entrer des vaisseaux. D’un autre côté, le gibier est devenu
rare : les Créoles, trop passionnément adonnés à la chasse, l’ont presque
entièrement détruit. La mer sans doute y est très poissonneuse
mais on en profite peu. La raison en est apparemment que la navigation
en pirogues et en canots y est beaucoup moins sûre qu’à l’Ile de France et à Rodrigue. Je
n’ai mangé que d’un seul poisson qu’on nommait le poisson rouge parce que réellement ses écailles et sa peau sont de cette couleur,
mais la chair en est blanche. Ce poisson est délicat ; il en est parlé
dans plusieurs relations de voyage, et nommément dans celle de l’Amérique
du Père Labat, tome VI. Les rivières ou les ruisseaux nourrissent des
cabots, des carpes, des anguilles, des
mulets, etc. Mais ces poissons
ne sont pas fort communs sans doute par une raison semblable à celle
qui a occasionné la rareté du gibier. La mer est également abondante en coquillages,
madrépores, en beaux lithophytes, etc. Le galet à Saint-Denis est en partie
de silex, et en partie d’astroïtes
ou d’autres madrépores arrondis par le roulement. On y trouve aussi
des coquilles d’oursins. J’y ai ramassé un os de cheval qui commençait
déjà à se madréporiser. La grève de Saint-Paul m’avait procuré des cornes
d’ammon extrêmement petites et délicates, qui n’ont pu se conserver,
malgré l’attention que j’y ai apportée, et des galères,
telles que je les ai décrites ci-dessus sur le 21 d’avril. M. de
la Nux m’avait fait présent d’un beau lithophyte que ses gens venaient
de pêcher par soixante brasses de fond : il était alors couvert de chair,
son pied était couvert de lithophytes naissants, de coquillages, de
mille productions extrêmement variées pour les couleurs. J’ai beaucoup
regretté ce lithophyte qui a été perdu vers les Açores
dans le temps de la prise du Boutin
par les Anglais. L’île de Bourbon
n’est pas seulement fertile en grains et en fruits ; elle abonde pareillement
en bestiaux et en volaille. Aussi, c’est à Bourbon
que les vaisseaux qui reviennent en France
vont faire leurs provisions. Tout ce que produit l’île s’y vendait encore
à un prix assez raisonnable ; ceux qui nous avaient précédés avaient
même été taxés à un prix plus modéré. Il est vrai qu’on ne voulait pas
de nos billets ; il fallait payer en argent effectif. Le vin et les
étoffes même les plus communes étaient hors de prix. On soupçonnait
4 ou 5 richards d’entretenir cette cherté par le monopole qu’ils exerçaient
; mais indépendamment de cette cause, les denrées européennes ne pouvaient
point être à bon marché dans cette île ; la raison en était évidente.
Tous les vaisseaux qui vont à Bourbon ont passé par l’île de France
; le conseil de l’île de France
retenait presque tout ce qui était envoyé par la Compagnie. On n’en
faisait passer à Bourbon que
le moins qu'il était possible ; les prêtres mêmes étaient obligés de
faire du sangorin leur boisson ordinaire ; le gouvernement de Bourbon
était hors d'état de leur fournir la provision annuelle de vin dont
on était convenu avec eux. Si quelque particulier apportait du vin dans
l'île pour son compte, il avait pu le vendre à l'île de France
à un prix très haut ; pourrait-il le céder à Bourbon à un prix médiocre ? Les habitants de Bourbon y sont nés pour la plupart, et ils comptent y mourir. Ils
regardent Bourbon comme leur
véritable patrie, en conséquence ils sont affectionnés à leur île. Le
luxe n'a point pénétré chez eux, la simplicité des moeurs de nos ancêtres
semble faire leur caractère distinctif. Une vie tranquille, une subsistance
honnête, l'éducation de leur famille, l'acquit des engagements qu'ils
ont contractés avec la Compagnie, voilà le plus haut terme de leurs
désirs. Ils sont ordinairement accomplis parce qu'ils sont réglés sur
la modération et l'équité. Ce caractère n'est pas particulier aux Créoles
; les Français habitués à Bourbon
le contractent aisément ; on le reconnaît même dans plusieurs des principaux
de l'île. Les lois de Bourbon sont au moins aussi sages que celles de l'île de France ;
elles sont d'ailleurs beaucoup plus fidèlement observées. Les colons,
en recevant de la Compagnie des terres et des facilités de les cultiver,
ont contracté avec elle des engagements qu'ils remplissent fidèlement.
Il est vrai cependant que, lorsque j'ai passé par cette île, les habitants
prétendaient que la Compagnie s'était réciproquement engagée à leur
fournir à un prix modéré du vin et des vêtements, ils ajoutaient que
si on continuait de les négliger, comme il semblait qu'on le faisait
alors, ils se tiendraient pareillement quittes de leurs engagements,
et que nommément, ils abandonneraient toutes les plantations de café
comme leur étant absolument inutiles. Ils méritaient, disaient-ils,
les attentions de la Compagnie pour le moins autant que les colons de
l'île de France. Ce principe était vrai, mais on pouvait répondre que ce n'était
pas la Compagnie qui les négligeait, que c'était l'île de France qui
retenait et absorbait ce que la Compagnie envoyait pour les deux îles.
La culture du café est le principal
engagement des habitants et la Compagnie le reçoit dans ses magasins,
sur le pied de quatre piastres la balle. Je crois que la récolte va
par an, jusqu'à vingt-cinq ou trente mille balles au moins. J’ai dit
que la balle pesait 105 livres ; cependant on ne recevait point le café
d'un habitant, s'il n'était pas en même temps porteur d'une attestation
par laquelle il apparaisse qu'il a fidèlement observé les lois de la
police de l'île. Selon ces lois, chaque colon est obligé d'apporter
tous les ans au gouvernement, pour chaque tête d'esclave qu'il possède,
cinquante livres pesant de sauterelles, cent queues de rats et cent
têtes de petits oiseaux qui nuisent beaucoup aux grains et surtout au
blé. Ces lois sont sages ; les colons conçoivent qu'elles n'ont été
établies que pour leur utilité ; non seulement, ils les observent scrupuleusement,
ils doublent, ils triplent même, s'ils le peuvent, la taxe imposée. Selon une autre loi, celui qui ramène
un marron en devient le possesseur,
ou on lui donne un autre Noir de la Compagnie, ou enfin on lui compte
300 livres de récompense selon son choix : aussi le nombre des marrons
est-il très petit à Bourbon.
D'ailleurs les Créoles, plus habiles que les chèvres à escalader les
montagnes, font une bonne guerre aux marrons. Ils leur font la chasse
à peu près comme on le ferait à des bêtes féroces ; cependant, comme
ils désireraient les avoir vivants, il arrive quelquefois que les fugitifs
poursuivis, rencontrant un précipice qui les empêche de passer outre,
attendent les Créoles en jouant, dansant et chantant, et, quand ils
sont sur le point d'être atteints, ils se jettent la tête la première
dans le précipice. Une dernière raison qui rend ici les marrons plus
rares qu'à l'île de France
est qu'on ne fait pas manger de paille aux esclaves, ils sont mieux
avec leurs maîtres que dans les forêts. Il s'en échappe cependant quelques-uns
de temps en temps ; le nom de la liberté plaît partout. Entre le 14 et le 17 novembre 1761,
j'ai fait au presbytère de Saint-Paul,
plusieurs observations sur la variation de l'aiguille aimantée, et j'ai
trouvé qu'elle déclinait de 16° 45' du nord à l'ouest. Suite
du journal
Etant arrivés le 18 d'octobre
à Bourbon de la manière que
je l'ai dit ci-dessus, nous avons été saluer M.
de Lozier Bouvet, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis,
gouverneur de l’île pour le roi. Je ne parlerai point des lumières
étendues de cet officier sur la théorie et la pratique de la navigation,
de la sagesse de son gouvernement, de l'égalité constante de son caractère,
de sa candeur, de son affabilité parce que, comme je l'ai déjà dit,
ce n'est point un panégyrique que j'ai prétendu entreprendre. C'est
ce même M. Bouvet qui commandait
en 1738 et 1739 l'expédition faite par ordre de la compagnie pour la
découverte des Terres Australes, et c'était lui qui, en 1735, avait
donné l'idée de cette expédition. Elle se borna à la découverte du Cap
de la Circoncision, ainsi nommé parce qu'il fut découvert le premier
de janvier 1739. La brume
presque continuelle qui empêchait les vaisseaux de se voir et les glaces
dont on était environné empêchèrent de pousser plus loin les découvertes.
Mais, comme M. Bouvet
le remarque avec raison, les glaces dénotaient le voisinage d'une grande
terre ; il est probable qu'elles ne s'étaient ainsi accumulées que parce
que la brume n'avait pas permis aux rayons du soleil de les pénétrer.
Toutes les années ne sont pas sans doute également brumeuses et, ce
qui n'a pu s'effectuer en 1739 n'aurait peut-être souffert aucune difficulté
dans quelqu'une des années suivantes. M. Bouvet m'a parlé de cette expédition
en de tels termes que je ne doute presque pas qu'il consentît avec zèle
à en entreprendre une pareille avec une pleine confiance d'un succès
plus heureux
[17]
.
Bouvet a été successivement, capitaine des vaisseaux, Gouverneur de
l'île de France et Gouverneur
de Bourbon, et il n'est pas
riche ; c'est qu'il a toujours été zélé pour le bien, vertueux et désintéressé.
Il serait à souhaiter que la Compagnie eût beaucoup d'officiers de cette
trempe. Aussitôt notre arrivée, M. Bouvet
donna des ordres pour nous loger au gouvernement. Je fus aussi rendre
visite à M. Teste qui voulait pareillement nous loger. Le même jour notre navire
avait remis à la voile vers 9 heures du soir ; il mouilla le lendemain
dans la rade de Saint-Paul
à huit heures et demie du matin, par 16 brasses d'eau, fond de sable
fin noir et vaseux. Trois navires de la Compagnie étaient déjà dans
cette rade : l'Adour, le Villevault et le Numéro 4.
Les deux premiers étaient destinés pour la France et devaient faire
leurs provisions à Saint-Paul,
le troisième était une des prises que M. le Comte d'Estain
avait faites dans son expédition et qu'il avait distinguées par différents
numéros. Le 19, les corvettes, la Bonneaventure
et le Volant, mouillèrent à Saint-Denis.
La journée s'est passée à rendre des visites et à parcourir la plaine.
Les maisons sont mieux bâties et les jardins mieux entretenus qu'à l'île
de France. Le 21, nous avons été dîner
à Sainte-Marie et coucher
à Sainte-Suzanne, d'où nous
sommes revenus le 22 au soir. Je
ne comptais passer que deux ou trois jours à Saint-Denis
; sur les instances engageantes de M. Bouvet,
je me suis déterminé à y rester plus longtemps. Cependant M. Thuillier
est parti le 23 au soir sur le Volant,
pour aller arranger nos affaires à Saint-Paul.
Cette corvette devait aller chercher notre cargaison à la rivière d'Abord. Le 25, le vaisseau, l'Adour
a appareillé à Saint-Paul
pour se rendre en France. Le 28, le navire le Saint-Priest
a mouillé à la rade de Saint-Denis
; il est aussi destiné pour la France.
Cela faisait en tout cinq vaisseaux
qui avaient la même destination : le Boulogne
qui était parti avant notre arrivée, l'Adour,
le Villevault, le Boutin
et le Saint-Priest. Des cinq, l'Adour
seul est arrivé à bon port, les quatre autres ont eu le malheur de tomber
entre les mains des Anglais.
Le 1er de novembre, le Saint-Priest
a appareillé pour aller à Saint-Paul.
Le 5, le vaisseau, le Villevault,
a appareillé de Saint-Paul
pour se rendre en France.
Le 6, on a fait une partie de
pêche : elle n'a pas été heureuse, mais j'ai profité de l'occasion pour
visiter la vallée où coule la rivière de Saint-Denis.
C'est encore un de ces endroits que l'on pourrait dire être affreusement
beau. Cette vallée, avant que la rivière, divisée en quatre bras, se
perde dans les galets qui la séparent de la mer, peut avoir 70 à 80
toises de large. Elle est d'abord bordée de petites falaises de 20 à
25 pieds de haut ; sur la rive droite, en remontant la rivière, la falaise
se joint bientôt à la montagne ; sur la gauche, sa hauteur s'augmente
par degrés ; à un quart de lieue de Saint-Denis,
elle devient montagne, et la vallée ressemble à un précipice, bordée
de part et d'autre par des roches taillées à pic de 60 à 80 toises de
hauteur ; je ne crois pas qu'elles puissent en avoir moins. Vers midi,
une de ces roches donnait en bas 25 à 30 pieds d'ombre, et le soleil
n'était pas éloigné de 5 degrés de notre zénith. Encore la position
de la roche n'était-elle pas la plus favorable pour donner le plus d'ombre
qu'il était possible, elle n'était pas entièrement à pic et la vallée
ne s'étendait pas de l'est à l'ouest, mais du nord-est au sud-ouest.
Ce précipice peut avoir d'abord 100 toises de large ; il se rétrécit
ensuite en remontant la rivière et bientôt, il se réduit à 40 toises
et ensuite à 20 ou 25. Les roches sont pour l'ordinaire absolument nues,
de couleur gris de fer, et paraissent assez homogènes. A un endroit
de la rivière s'est creusée une caverne sous la montagne ; l'eau peut
y avoir 15 pieds de profondeur ; on n'a osé y pêcher. Sur la rive gauche,
je prends toujours la rivière en remontant ; elle reçoit un ruisseau
qui roule par cascades du haut de la montagne : la chute est plus haute
que celle des cascades de l'île de France, mais il y a moins d'eau, et plusieurs jets. Au-delà de cette
cascade, il y en a plusieurs petites et moins hautes ; elles ne tombent
pas du haut de la montagne, mais comme la roche n'est point à pic et
qu'elle est couverte de plantes et d'arbrisseaux, je n'ai pu juger si
ces petites cascades sourdaient de la montagne ou si elles étaient des
échappes de la cascade principale. A deux lieues environ de Saint-Denis,
la rivière forme elle-même une belle cascade en se précipitant des montagnes,
mais nous n'avons pas été jusque là. M. Préodet
qui y a été m'a dit qu'aux approches de cette cascade, les roches s'approchaient
et se touchaient presque par le haut, de manière que dans les grandes
eaux, si une partie de roche venait à se détacher, elle tombait sur
la roche opposée, dont par son poids elle détachait pareillement quelque
partie, et que le tout repoussé alternativement de roche en roche faisait
un fracas terrible et effrayant. Le lit de la rivière au bas n'est souvent
bordé que de pierres ou d'une espèce de galet dont j'ai parlé plus haut.
Ailleurs, il y a des plantes, des arbrisseaux et même des petits bosquets.
Le 8, M. de Ligeac, capitaine d'Artillerie au service de la Compagnie, et un de
nos passagers du Boutin, est
arrivé de Saint-Paul. Le 10, nous sommes partis de
Saint-Denis, M. de Ligeac et moi. J'ai fait plus haut la description du chemin ; nous
avons dîné à la Possession,
et nous sommes arrivés heureusement à Saint-Paul.
M. Bouvet avait donné des
ordres pour me loger et m'entretenir au gouvernement. Je suis cependant
descendu chez les prêtres, où M. Thuillier
logeait déjà et j'y ai été très bien reçu par M. Monnet,
curé, et par M. Féron, vicaire
de la paroisse, tous deux de la Congrégation de la Mission. Les jours suivants se sont passés
à rendre des visites, à en recevoir, à faire embarquer mes graines,
mes pierres, mes coquilles, mes madrépores, à visiter les environs de
Saint-Paul, etc. Le 14, le Saint-Priest a mouillé en rade de Saint-Paul, après avoir fait sa provision de café à la rivière d'Abord.
Le 15, le Saint-Louis est arrivé de l'île de France, et nous a apporté des nouvelles de l'île Rodrigue
où on avait découvert une escadre anglaise. Voici l'histoire de cette
escadre, telle que je l'ai sue alors, et telle que je l'ai vue depuis,
plus détaillée dans plusieurs lettres, et principalement dans une que
M. de la Nux m'a écrite en
date du 1er février 1762 : cette escadre était arrivée à Rodrigue
le 15 septembre 1761, sept jours après notre départ. Elle était composée
de onze vaisseaux de guerre et de quatre frégates. Elle croisait en
tout ou en partie aux environs de Rodrigue,
sans s'écarter de cette île où il y avait apparence qu'elle attendait
du renfort pour faire le siège de l'île de France.
Elle pouvait aussi très facilement avoir eu l'avis de l'expédition des
cinq vaisseaux que M. des Forges
avait envoyés à Batavia, et
se tenir aux aguets pour les surprendre à leur retour. J'ai dit, ci-dessus,
que le Fortuné commandé par M. de Surville
et la Sylphide, capitaine
M. Roche, étaient partis de
conserve le 26 septembre de l'île de France
pour une expédition secrète. Ces deux navires furent reconnaître Rodrigue, mais la Sylphide
souffrant beaucoup d'une voie d'eau, s'était séparée du Fortuné ; elle s'imagina l'avoir rencontré pendant la nuit : ce n'était
pas lui, c'était un vaisseau de l'escadre anglaise. On était tellement
persuadé que c'était le Fortuné
que l'on cria dans le porte-voix : “Bonsoir M. de Surville”. Le navire anglais avait à son bord M. de Puvigné
commandant de Rodrigue. On
le força de répondre ; il le fit mais il sut si bien affecter l'accent
anglais qu'il détrompa M. Roche
; il lui fit connaître sa méprise et lui donna habilement le conseil
d'arrivera
le plus promptement qu'il lui serait possible. A bon entendeur demi-mot
suffisait, M. de Roche profita
de l'avis et arriva ; le canon ennemi perça ses voiles et ne lui fit
pas d'autres dommages. Le jour découvrit d'autres vaisseaux qui ne furent
que spectateurs du courage et de l'habileté de monsieur Roche.
La Sylphide n'était plus en
état de tenir la mer ; son capitaine la reconduisit à l'île de France pour informer le gouvernement de ce qui se passait à Rodrigue.
J'ai dit quelque part que la
Compagnie a de bien méchants enfants ; elle en a aussi qui lui font
honneur : outre M. Roche,
M. de Surville est de ce nombre. Celui-ci avait découvert l'escadre anglaise
; les tentes des ennemis éparses sur Rodrigue ne lui permettent point de douter du danger qui menace les
navires français ; sans révoquer en doute l'intrépidité et la sagesse
de M. Roche, il est convaincu
que son consort a été obligé de succomber sous le nombre, ou même que
la Compagnie a perdu un de ses meilleurs officiers. Il est à propos
qu'on soit informé à l'île de France
de ce qui se passe à Rodrigue.
Il n'est pas moins essentiel que l'escadre envoyée à Batavia
soit avertie du péril qu'elle courrait en reconnaissant cette île. Rien
n'est impossible à un officier qui a gagné le coeur et l'estime de ses
subalternes. M. de Surville
assemble son conseil ; il représente avec une égale force l'importance
des deux avis dûs, et au conseil de l'île de France,
et à l'escadre de Batavia.
Le parti qu'il propose n'est pas seulement agréé de tout le conseil,
il se trouve même un officier (et il s'en serait sans doute trouvé plusieurs)
qui consent à s'exposer à la mer avec quelques matelots, dans une simple
chaloupe, à pénétrer l'escadre anglaise, à traverser cent vingt lieues
de mer pour venir informer M. des
Forges de l'état des affaires de Rodrigue.
Cependant, M. de Surville
ayant perdu sa chaloupe de [
] va au devant des vaisseaux qui reviennent de Batavia.
Il leur donne des avis convenables et ces vaisseaux reviennent heureusement
à l'île de France, chargés
d'un million huit cent mille livres de riz, de vin, de sucre, d'arack,
de 50 000 piastres en différentes espèces, de mille autres besoins. L'escadre anglaise continuait
de croiser inutilement à Rodrigue
; il ne lui arrivait aucun renfort d'Europe.
Les maladies commencèrent enfin à la détruire : de 4 030 hommes d'équipage
dont elle était montée en arrivant à Rodrigue,
elle en avait déjà perdu quinze à dix-huit cents. Elle a enfin pris
le parti d'appareiller le 25 décembre et d'abandonner Rodrigue manquant de vivres et sans nous avoir pris seulement une
seule de nos chaloupes. Quelques-uns de ses vaisseaux ont été achever
de se consumer à Madagascar
dans la plus mauvaise saison de l'année. Une frégate portugaise, envoyée
de Goa à l'île de France, au commencement de 1762, a rapporté que les Anglais avaient
perdu trois vaisseaux de guerre dont deux allaient porter du secours
dans le Gange à Golgotha qui était vivement assiégé par les Indiens. Ils étaient montés
de mille hommes d'équipage, outre 500 soldats du régiment de Cook.
L'un avait péri par le feu, l'autre avait viré dans le fleuve, un troisième
s'était perdu à Goa, mais
l'équipage s'était sauvé. Je ne crois pas que ces trois navires fissent
partie de l'escadre de Rodrigue
mais c'était sans doute de cette escadre que s'étaient échappés deux
vaisseaux anglais que M. de Surville
rencontra quelques temps après aux environs du Cap de Bonne-Espérance.
Son courage lui dictait de les attaquer ; après une mûre délibération,
il fut décidé dans le conseil qu'un seul vaisseau n'en pouvait attaquer
deux de même force sans quelque témérité. M. de Surville s'est presque voulu mal de n'avoir pas écouté la voix de
son courage, lorsque, se trouvant quelques jours après au Cap avec ces
deux vaisseaux, il apprit que sur les deux bords il n'y avait pas en
tout cinquante hommes en état de manoeuvrer. Je me suis trop attaché à M.
de Puvigné pour ne pas le
rejoindre encore à l'île Rodrigue.
Les Anglais, en partant le 25 décembre, l'avaient remis sur l'île. Sur
l'avis donné par la Sylphide
et par la chaloupe du Fortuné,
M. des Forges, résolu de débusquer les Anglais de Rodrigue, envoya la Frégate la Fidèle
examiner ce qui se passait aux environs de cette île. La Fidèle, ayant trouvé la place abandonnée, y mouilla vers la fin de
décembre, prit à son bord M. et Mme de Puvigné
et tout ce qui pouvait y rester de français et aborda heureusement à
l'île de France dans les premiers
jours de 1762.
Je reviens à mon journal. Le 17 de novembre, la corvette
de Saint-Louis est repartie
pour Madagascar. C'était le
lieu de sa destination. Elle devait donner avis aux vaisseaux français,
mouillés dans les ports de cette île, du danger qu'il y avait à reconnaître
Rodrigue en retournant à l'île de France. Le 18, il est arrivé une autre
corvette de l'île de France.
Les officiers et soldats de marine et les matelots étaient avertis de
se tenir prêts, parce que l'on ne devait point tarder à les venir prendre
pour déloger les Anglais de l'île Rodrigue.
Le
même jour, nous nous sommes embarqués vers six heures du matin. Notre
compagnie était moins nombreuse que sur le
d'Argenson ; en cela
même elle était peut-être meilleure. Nous devions être conduits par
M. M de Meyrac, capitaine,
Le Brun, de Becdelièvre
et Soleil, lieutenants, tous
d'une très bonne société, ainsi que M. l'abbé Jarnier,
aumônier, M. Voye, écrivain,
et M. Vergoin chirurgien major.
Les passagers étaient : M. le Chevalier de Ruis,
capitaine des vaisseaux de sa Majesté, Chevalier de l'Ordre de Saint-Louis,
officier généralement estimé pour sa bravoure dont il porte de tristes
mais glorieuses marques, d'un esprit juste, fin et orné de mille connaissances
et avec cela d'une conscience timorée et presque scrupuleuse ; M. de
la Bretonnière, capitaine
des vaisseaux de la Compagnie, homme d'esprit et d'un excellent caractère
; M. de Longchamp, capitaine
des troupes de terre de la Compagnie et maintenant chevalier de Saint-Louis
; M. de Ligeac, capitaine d'Artillerie ; M. de Crémont
[18]
,
écrivain des vaisseaux du roi ; M. Bidars,
qui avait eu l'intendance des magasins de la Compagnie à l'île de Sainte-Marie
près de Madagascar ; M. de
Vauversis, lieutenant des vaisseaux de la Compagnie encore un peu
jeune de moeurs mais d'ailleurs d'une société aimable ; M. de Longchamp,
M. de Ligeac, M. Bidars, M. Thuillier
et moi. Il n'en était pas un seul de cette compagnie qui n'eût mérite.
On se voyait avec plaisir, on s'entretenait sans s'ennuyer, on jouait
quelquefois sans se ruiner, la gaîté n'allait point ordinairement jusqu'à
la folie, la discorde ne troublait point la société. Tout aurait été
bien s'il n’y avait pas eu d'enfants. Ceux-ci ne servaient qu’à me distraire
dans mes calculs et à interrompre, durant le jour, le sommeil des officiers
qui avaient veillé durant la nuit. Le 19, nous sommes restés en
rade, attendant le Volant
qui devait nous apporter le reste de notre cargaison de café. Trouvant
le vent contraire pour venir de la rivière d'Abord
à Saint-Paul, il avait pris
le parti de faire le tour de l'île et n'y avait employé qu'un jour et
demi. A Saint-Denis on lui
avait tiré trois coup de canons à boulet, il y avait répondu en donnant
les signaux de reconnaissance et avait poursuivi sa route sans s'arrêter.
Mais à la vue de Saint-Paul,
il a retrouvé le vent contraire. A la nuit, on lui a fait des feux pour
le guider ; il a enfin mouillé heureusement près de nous. Le 20, nous avons chargé le
reste de notre cargaison qui consiste en cinq mille quarante-neuf balles
de café et en quatorze milliers de poivre. A dix heures et demie du
soir, le vent étant à l'ENE, nous avons viré, et, à onze heures, nous
étions sous voiles pour retourner en France.
Cinglant du NO et au NO 1/4
N, et à minuit étant N et S de la pointe de Saint-Gilles,
nous avons mis en travers pour embarquer nos bateaux.
[1]
Guy le Gentil de la Barbinais, Nouveau
Voyage autour du monde
; il y raconte son séjour de cinq mois à l’île Bourbon en 1717.
[2]
Un recensement fait en 1761, ainsi que des indications laissées par
le R.P. Caulier en 1764, estimant la population à 22 300 personnes
dont 4 394 Blancs et 17 906 Noirs.
[3]
Ces estimations sont inexactes, puisque l’île n’est longue que d’environ
55 km. et large de 75 km.
[4]
Jean-Baptiste Charles Bouvet de Lozier (1706-1788), marin de la Compagnie
et explorateur des terres australes. Il se distingua comme capitaine
du Lys sur la côte de Coromandel. Il occupa à plusieurs reprises le
poste de gouverneur de Bourbon (octobre 1750 - décembre 1752, puis
janvier 1756 - juillet 1757, enfin octobre 1757 - septembre 1763),
assurant même de la fin 1753 à décembre 1755 la charge de gouverneur
des deux îles. Il fut l’un des rares gouverneurs à considérer Bourbon
autrement que comme une dépendance de l’île de France. Afin d’assurer
le développement de l’île, il préconisa dans divers mémoires l’autonomie
administrative commerciale face à sa voisine. Il encouragea l’instruction
publique (création d’un collège à Saint-Denis en 1759) et le commerce
(projet de création d’un port à Saint-Pierre et extension du réseau
routier). Il
fut le père du futur amiral Pierre Bouvet (1775-1860).
[5]
Il pourrait s’agir en réalité de l'ouragan du 26 et 27 mars 1752,
à l'origine de dévastations de cultures et de la destruction des installations
portuaires conçues par Labourdonnais.
[6]
Ce personnage a déjà été évoqué lors du voyage vers l’île de France.
Voir la note qui s’y rapporte.
[7]
La toise équivaut à 2 mètres. Ces données sont fausses puisque le
plus haut sommet de l'île Le Piton des Neiges, n'atteint que 3069
m.
[8]
Orthographe moderne : Plaine des Cafres.
[9]
Jacob de la Haye a été désigné comme chef d’escadre par Colbert le
3 décembre 1669 avec le titre de lieutenant général pour le roi dans
l’île Dauphine [Madagascar] et dans toutes les Indes. Il arriva à
Bourbon en 1671.
[10]
Le gouverneur Desforges Boucher fit construire un château au lieu-dit
“Le Gol” à proximité de l’actuelle localité de Saint-Louis.
[11]
L'abbé Joseph Teste débarqua le 5 août 1723 à la Réunion. Curé de
Ste Suzanne, il fut à l’origine de nombreuses édifications d’églises
et devint préfet apostolique de l’île où il mourut le 24 juin 1772.
[12]
Cette explication fantaisiste s’inscrit ddans la mythologie développée
autour du volcan par les voyageurs depuis le XVIIIème siècle.
[13]
Hypothèse évidemment fantaisiste : les chutes de neige sont rarissimes
même sur les plus hauts sommets de l’île.
[14]
La Compagnie des Indes avait pour habitude d'établir des jardins dans
ses concessions ; c'est ainsi qu'un premier jardin fut créé à Bourbon
dans le quartier de la Rivière St Denis, au pied du rempart occidental
; il était situé à la hauteur des actuelles rues Sainte-Anne, Pasteur
et de la Compagnie. Le jardin fut transféré à son emplacement actuel
à une date non déterminée.
a
Un carri est un ragoût indien où le poivre, le safran et les épices
ne sont pas ménagés. Ce ragoût est fort en vogue sur plusieurs vaisseaux
de la compagnie ; on fait des carris
de viande ou de poisson.
[15]
.
1 gros équivaut à environ 4 grammes.
[16]
.
1 once : 32 grammes.
[17]
En effet, en juillet 1738, Bouvet de Lozier quitta l’Orient avec l’Aigle et la Marie et descendit
dans l’Atlantique sud pour y reconnaître une terre, qu’il baptisa
l’île de la Circoncision en raison de la date de découverte, le 1er
janvier 1740. Il la prit pour une avancée du mythique continent alors
qu’il s’agissait de la minuscule île qui porte aujourd’hui son nom. a J'ai déjà dit qu'arriver, c'était
se mettre [
] plus en arrière pour [
]
[18]
Honoré de Crémont (1731-1800 ?), servit dans l’escadre du comte d’Aché
au cours de la campagne des Indes comme écrivain du roi puis devint
en 1766 commissaire de la marine à l’île de France et premier conseiller
aux conseils supérieurs des îles de France et Bourbon. Mais la partie
la plus importante de sa carrière se situe après la période de la
Compagnie des Indes : avec la “royalisation” des îles, effective seulement
en 1767, l’administration était confiée conjointement à un gouverneur
lieutenant général et à un intendant, représentés à Bourbon respectivement
par un commandant particulier et par un commissaire ordonnateur. Dans
ce dernier poste, Crémont représentant de Poivre, joua un rôle très
important dans le développement de la colonie : travaux de voirie,
d’adduction d’eau, d’assainissement, développement agricole, réorganisation
du schéma urbain de Saint-Denis. Il fut l’hôte de Bernardin de Saint-Pierre
au cours du séjour de celui-ci à Bourbon et resta son ami jusqu’à
la fin de sa vie.
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